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austro-hongrois me semblait peinte au vif par les paroles du grand Jean de Witt à Louis XIV sur l’empire germanique : « L’Empire n’est qu’un squelette dont les parties sont attachées, non avec des nerfs, mais avec du fil d’archal, qui n’ont point de mouvement naturel, de sorte qu’il n’y a pas de fondement à faire sur son amitié ou son secours. »

Je me sentais très attiré vers l’alliance russe et, malgré des liens très chers avec de nobles personnalités polonaises, subordonnant les penchans de mon cœur aux intérêts de ma patrie, j’avais refusé de m’associer aux manifestations en faveur de la dernière insurrection. Si j’avais eu le temps d’établir une politique étrangère, j’aurais essayé de nouer une alliance solide avec la Russie, en opérant un rapprochement entre elle et l’Angleterre. L’Empereur y était disposé, à en juger par l’insistance avec laquelle il me recommanda la lecture d’une brochure anonyme attribuée au fils de Jomini sur la convenance d’une alliance franco-russe. En conséquence, j’exprimai l’avis d’aller droit à Pétersbourg et d’offrir la révision complète du traité de Paris : « Sans doute, dis-je, le Tsar est très attaché à son oncle de Prusse, mais il porte aussi, en considération de son fils, un vif intérêt aux Danois, et nous pourrions nous prévaloir de ce sentiment pour contre-balancer l’autre. De plus, il est obsédé par la crainte de la révolution ; il l’a manifesté vivement pendant son récent passage à Stuttgard ; l’arrêter lui paraît le premier devoir d’un prince. Il voit que la liberté constitutionnelle n’est pas un mauvais moyen de tenir la révolution en échec, et il comprendrait que la défaite de Napoléon III serait une victoire de la révolution autant que de la Prusse. » Sans contester en principe la valeur de l’alliance russe, Gramont ne crut pas qu’on pût l’obtenir actuellement. Il y avait trop d’années qu’elle était éloignée de nous, et elle était unie à la fois par les liens de famille et les services rendus dans l’affaire polonaise ; nous devions nous estimer heureux qu’elle s’en tînt à la neutralité. D’ailleurs, le moindre mouvement de son côté nous aliénerait la Hongrie, sans l’assentiment de laquelle l’Autriche ne pouvait s’unir à nous. Or l’Autriche était très bien disposée et elle possédait une belle armée, toute prête, tandis que la Russie n’était pas en mesure d’agir tant que ses chemins de fer ne seraient pas terminés.

Ces affirmations de l’ancien ambassadeur à Vienne, de l’ami