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de Beust, nous frappèrent beaucoup. Néanmoins, je présentais encore quelques timides objections, lorsque l’Empereur se leva, marcha vers un bureau, ouvrit un tiroir, y prit les lettres de l’empereur d’Autriche et du roi d’Italie de septembre 1869 et nous en donna lecture. L’Empereur ne nous expliqua point ce qui avait motivé ces lettres : il les interprétait comme une promesse éventuelle de secours dans un cas tel que celui où nous nous trouvions, et il était absolument convaincu que deux souverains aussi loyaux que François-Joseph et Victor-Emmanuel tiendraient leurs promesses. Le rapport du général Lebrun et le plan de l’archiduc Albert, qui étaient alors dans ses mains et dont il ne nous parla pas, contribuaient certainement à donner à son accent un ton de confiance communicative. À la vérité, ces lettres ne constituaient pas ce qu’on appelle proprement un traité, mais elles constataient cette identité de sentimens et d’intérêts d’où les traités découlent tout naturellement à l’heure propice. Cette sorte d’alliance morale permanente existe souvent sans texte formel ; les traités se signent lorsque l’éventualité vaguement prévue d’une guerre se spécialise dans un fait imminent ; ils sont même la preuve que la guerre va commencer et c’est pourquoi on en diffère souvent la signature, quoiqu’on les admette en principe. En 1811, Napoléon Ier et Alexandre ne voulurent pas conclure leurs traités d’alliance, le premier avec la Prusse et l’Autriche, le second avec l’Angleterre et la Suède, tant qu’ils eurent une espérance d’éviter la guerre ; Alexandre ne douta plus des hostilités dès qu’il sut que Napoléon avait signé ses traités. En 1854, quoique parfaitement d’accord entre elles, et déjà engagées dans une communauté d’action depuis plusieurs mois, la France et l’Angleterre ne rédigèrent leur traité d’alliance offensive et défensive qu’au début de la guerre. L’entente entre Cavour et Napoléon III avait été conclue à Plombières en juillet 1858 ; le traité d’alliance offensive et défensive entre la France et l’Italie ne fut signé qu’en janvier 1859, à la veille des hostilités.

Le fait qu’aucun traité d’alliance en règle n’avait été conclu était la preuve que la guerre nous surprenait et n’avait pas été préméditée par nous. L’Empereur n’avait pas travaillé à l’achèvement de l’accord ébauché en 1869 parce que ses pensées étaient tout à fait pacifiques, mais aussitôt qu’une agression imprévue lui sembla imminente, il ne douta pas un instant, et nous le