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il sied à une révolution militaire fomentée par des officiers, un mouvement national ou mieux nationaliste. C’est un des côtés par où la révolution turque se distingue de la révolution russe. Si elle a eu, elle aussi, des modèles étrangers, elle s’est inspirée surtout, comme en ces dernières années tous les mouvemens de l’Asie et de l’Islam, des fascinans exemples du Japon. Les Jeunes-Turcs voulaient-ils imiter l’Europe chrétienne, emprunter ses institutions politiques, en même temps que ses découvertes et ses méthodes scientifiques, c’était avant tout, comme l’ont fait, il y a bientôt un demi-siècle, leurs glorieux maîtres de l’Empire du Soleil Levant, afin de fortifier l’Etat et de revivifier la nation en leur appliquant les institutions ou les lois qui paraissaient avoir fait la force des Etals chrétiens et la supériorité de l’Occident. Militaires ou civils, les Jeunes-Turcs sont tous des patriotes ottomans, on pourrait dire des patriotes islamiques, tant, chez eux, le sentiment national et le sentiment religieux demeurent, malgré tout, confondus et indistincts. Ce qu’ils cherchent dans les libertés constitutionnelles, ce n’est pas, comme nos ancêtres de 1789, le triomphe des « Droits de l’homme, » c’est le moyen de retremper, de rajeunir le vieil Empire en décadence, de donner à l’Islam une vigueur nouvelle. Ils ne nous imitent que pour être plus forts, en face de nous et, au besoin, contre nous. Ils ne veulent copier l’Europe qu’afin d’être mieux en mesure de tenir tête à l’Europe. S’ils se mettent à notre école, c’est pour s’émanciper de notre tutelle.

Aux Turcs de Macédoine et d’Anatolie, comme à tous les peuples d’Orient, le régime constitutionnel, le parlementarisme, déjà si décrié ou discrédité chez plus d’une nation d’Occident, apparaît encore comme l’unique fontaine de Jouvence des Etats décrépits et des peuples vieillis. Aux pays des Mille et une Nuits, plus d’un disciple du Prophète y verrait volontiers une sorte de bain magique dans lequel il n’y a qu’à se plonger, hardiment, pour recouvrer vigueur et santé. C’est ce qu’a osé entreprendre, sous nos yeux, avec la foi qui fait les miracles, l’ « homme malade » des deux derniers siècles, — celui dont les médecins politiques annonçaient tous les vingt ans la fin prochaine, et dont les héritiers impatiens se disputaient, hier encore, la succession. Après le prodige accompli par le Japon, l’Europe aurait mauvaise grâce à railler ce confiant effort, comme si les modernes constitutions et l’appel aux assemblées électives ne sauraient convenir