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plus grand service qui ait jamais été rendu à tous ceux, — et ils sont nombreux ! — qui acceptent la science du XIXe siècle comme une acquisition sérieuse et permanente de l’esprit humain, mais refusent de l’identifier avec les systèmes philosophiques qui se réclament d’elle et qui s’offrent à nous comme ses conséquences logiques, directes, inévitables. Il suffit à bien des gens, et non des plus obtus, d’être convaincus qu’un postulat scientifique est un acte de foi, et que toute doctrine rationaliste débute par nous demander une abdication, au moins momentanée, de la faculté rationnelle, pour que ces doctrines perdent toute leur autorité et pour qu’ils retournent immédiatement vers des dogmes qui, comme je le disais plus haut, ont le mérite de répondre à nos besoins de bonheur individuel et de justice sociale, en même temps qu’ils fournissent aux vérités scientifiques le cadre qui leur convient. De sorte qu’au lieu de l’éternelle et insoluble antinomie, nous verrions devant nous cet axiome qui éclaire notre route : « Pas de science véritable sans religion ! »

On voit maintenant comment M. Balfour, né avec des facultés critiques très développées et destiné par sa naissance à être le champion de la tradition, en religion comme en politique, a mis d’accord sa nature et sa destinée et, comme tant d’autres, a trouvé, ou retrouvé la foi par l’opération de son scepticisme. Par l’emploi de ces facultés critiques, il est devenu un défenseur indirect, mais vraiment redoutable, du christianisme.

Il doit à ces mêmes facultés d’être devenu orateur et écrivain. L’effort constant, obstiné, méthodique pour formuler sa propre pensée ou pour pénétrer celle de l’adversaire dans ses nuances les plus subtiles ou dans ses parties les plus menues, ou dans ses conséquences les plus lointaines, a été la seule école littéraire et oratoire de M. Balfour, et c’est la meilleure de toutes. Pour convaincre, il fallait être compris et, pour être compris il fallait être clair, précis, complet. Il est arrivé à l’éloquence et au style par la logique, sans passer par la rhétorique. On peut noter ce progrès, d’année en année, dans tout ce qu’il a dit et dans tout ce qu’il a écrit. Quand il a été absolument maître de l’instrument, il a pu jouer tous les airs qu’il a voulus et il a brillé dans tous les genres oratoires, même dans le genre académique, où ses qualités de dialecticien et sa distinction native ont introduit plus de substance et de sincérité que ce genre n’en comporte d’ordinaire. Je citerai comme exemple le