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discours que lui inspira la disparition de Gladstone en 1898. Cette oraison funèbre présentait de grandes difficultés. Comment rendre justice à cette longue carrière, à cette belle vie, à ce grand caractère, comment apprécier une œuvre que sa fonction, depuis vingt ans, était d’entraver et de décrier ? Il s’acquitta de sa tâche en des termes où l’habileté disparaissait sous l’émotion :

« Depuis soixante ans, dit-il, il n’y avait pas eu un seul grand mouvement dans l’ordre religieux, politique, social, économique, dans le monde de la littérature ou de la science, auquel M. Gladstone n’eût pris sa part et, quelquefois, une part dirigeante. » Il n’appartenait pas à M. Balfour, il n’appartenait encore à personne de juger définitivement son œuvre et de lui assigner sa place dans l’histoire. Mais ce dont il pouvait témoigner, ce dont tous ses collègues pouvaient témoigner avec lui, c’est que, durant deux générations, M. Gladstone avait été le membre par excellence, l’âme, le type, la personnification de ce Parlement, ancêtre et modèle de toutes les assemblées délibérantes du monde. D’autres avaient possédé, peut-être, une éloquence plus entraînante, une dialectique plus subtile, ou une plus pénétrante ironie ; mais nul n’avait réuni, au même degré, ces dons si divers. « Etait-il plus grand lorsqu’il parlait à l’improviste, sous l’inspiration des circonstances, ou lorsqu’il prononçait une harangue longuement méditée ? Etait-il plus admirable lorsqu’il maniait les chiffres du budget ou lorsqu’il développait les considérans d’un projet de loi ? Il avait aussi ses minutes d’humour et son discours s’éclairait d’un sourire, car il avait à sa disposition, à toute heure et sous toutes les formes, les menus artifices comme les grands effets de l’orateur, les mots qui amusent, les mots qui illuminent, les mots qui transportent. Mais la force de ce grand maître de la parole consistait dans ce fait qu’il croyait et voulait toujours avoir raison, parler pour la vérité et la justice. C’est par-là qu’il a élevé le niveau moral, rehaussé la dignité de cette assemblée. Le Parlement assistera encore à l’éclosion et à l’épanouissement de bien des talens politiques et oratoires, mais verra-t-il jamais un second Gladstone ? »

La péroraison fut accueillie par un murmure approbatif qui disait, mieux que de bruyans applaudissemens, la profonde et religieuse sympathie de la Chambre. Rien ne manqua à l’émotion de ce solennel adieu adressé à l’homme illustre qui avait