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l’en détourner. Il y persista malgré tout et la recherche de l’expression symphonique, ou du moins instrumentale, marque peut-être le premier point de contact, à travers un peu moins de trois siècles, de l’opéra primitif avec l’opéra wagnérien[1].

Franchissons plus de cent cinquante ans et passons tout de suite à Gluck. Ce n’est pas qu’en ce long intervalle, chez un Lully, chez un Rameau, quelques jalons ou quelques signes n’apparaissent encore. Au cours d’une étude récente et très développée sur le musicien de Louis XIV, M. Romain Rolland nous rappelle ou peut-être nous révèle dans les opéras de Lully certaines symphonies, faisant corps avec la pièce, y jouant un rôle. « Ce sont des sortes de grands paysages poétiques, — des paysages intérieurs, — la peinture de l’atmosphère morale qui enveloppe une scène… Une des parties les plus pures, les plus parfaitement belles » de l’œuvre du Florentin[2].

Rameau de même, si ce n’est davantage, se montre, au théâtre, symphoniste par quelque endroit. « Personnellement, et cela nous le savons par Maret, il s’intéressait moins au « vocal » qu’aux symphonies et aux divertissemens… Les symphonies se rattachent souvent à l’action, qu’elles complètent et commentent, et à laquelle elles se relient musicalement, puisque nombre de thèmes confiés à l’orchestre découlent de ceux qui sont exposés par les chanteurs de la sorte, la symphonie prolonge l’effet vocal et ne rompt point nécessairement l’unité de l’œuvre[3]. » Ainsi parle un des deux plus récens biographes du maître bourguignon. L’autre ne cite que pour y souscrire ce magnifique éloge de Chabanon : « Rameau, comme symphoniste d’opéra, n’eut jamais de modèle ni de rival, et nous ne craignons pas d’affirmer hautement qu’après toutes les révolutions que l’art pourra subir, lorsqu’il sera porté à sa plus haute perfection par quelque peuple que ce soit, alors même ce sera beaucoup faire que d’égaler notre artiste dans cette partie et de mériter d’être placé à côté de lui[4]. »

  1. Sur Monteverde, précurseur de Wagner, consulter l’ouvrage de M. Romain Rolland : Histoire de l’Opéra en Europe avant Lully et Scarlatti, ch. IV.
  2. Voyez l’ouvrage de M. Romain Rolland : Musiciens d’autrefois (Notes sur Lully). Paris, Hachette, 1908.
  3. Rameau, par M. Lionel de la Laurencie, dans la Collection ; les Musiciens célèbres. Paris, Laurens, 1908.
  4. Rameau, par M. Louis Laloy, dans la collection ; les Maîtres de la musique, Paris, Alcan, 1908.