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Nous irons cependant, sans nous arrêter, jusqu’à Gluck. Chez celui-là, nous trouverons des passages connus, des exemples familiers et qui feront image. Ils montreront mieux comment, dans l’opéra par nous autrefois qualifié de récitatif et verbal, l’orchestre ou la symphonie peu à peu s’insinue et tend à se fortifier.

Oui, la symphonie est là, quelquefois. Elle y est sous deux formes et comme à deux degrés. Elle y agit tantôt par la variété des timbres, tantôt par sa vertu propre, laquelle consiste d’abord dans la déduction ou le développement de l’idée musicale, et puis dans le partage de la musique elle-même entre les instrumens et la voix. Les effets de sonorité abondent chez Gluck et la plupart sont connus : c’est un hautbois qui suit ou plutôt qui perce de sa plainte telle déploration d’Alceste ou d’Iphigénie ; c’est l’éclat, c’est l’aboi rauque des trombones, repoussant la suppliante et conjugale prière d’Orphée : Laissez-vous toucher par mes pleurs ! De même chez Monteverde déjà les trombones avaient comme donné la première touche de la couleur infernale. L’instrumentation de Gluck est à peine moins sommaire : elle ne consiste que dans la réplique d’une note des cuivres à quelques notes de harpe, celles-ci bien frêles, mais pathétiques par leur fragilité même, dont le Ténare hurlant ne triomphera point.

Les deux tableaux de l’Enfer et des Champs Elysées se touchent, en même temps qu’ils s’opposent, au moins dans la partition, par deux épisodes symphoniques. Au théâtre, entre l’un et l’autre, il ne faudrait pas d’arrêt, pas d’entr’acte, et la symphonie alors assurerait également l’effet du contraste et celui de la continuité. Chef-d’œuvre instrumental, grâce au timbre à la fois mélancolique et sacré de la flûte, on peut regarder aussi le prologue élyséen comme l’un des chefs-d’œuvre de la mélodie symphonique : j’entends celle qui, loin de se répéter, se développe, se renouvelle et semble constamment s’engendrer elle-même.

Ailleurs, et plus d’une fois, le maître de la parole pure, de la parole nue, ou revêtue de peu de sons, a deviné que la symphonie serait un jour pour le verbe, non plus le vêtement et le dehors, mais le dedans et la vie. Ici paraît, à peine appuyé, mais déjà sensible, un des traits de l’idéal wagnérien. Mainte page de la seconde Iphigénie en est marquée. Dès le début,