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impossible d’en parler et de soumettre aujourd’hui, à la Chambre el au pays, un exposé général de l’affaire. »

Cette déclaration acceptait comme officielle la communication à laquelle, la veille, l’Empereur avait à bon droit refusé ce caractère. C’est la seule contre-vérité que nous nous soyons permise dans cette crise ; elle nous a été inspirée par le désir d’augmenter les chances de la paix en donnant de la consistance à l’acte discuté du prince Antoine. En constatant que les négociations avec la Prusse n’avaient pas d’autre objet que la candidature Hohenzollern, nous écartions les exigences de la Droite et nous dissipions la crainte de Granville que nous n’élargissions le terrain du conflit ; en parlant de nos demandes sans les formuler, nous indiquions que nous ne leur avions pas donné le caractère d’un ultimatum. Le silence gardé sur la demande de garanties en préparait l’abandon. Admettez que, pendant cette délibération, nous eussions reçu de Benedetti un télégramme formulant les objections que soulevait la demande de garanties, et nous demandant de réfléchir avant de lui en réitérer l’ordre, le Conseil, au lieu d’atténuer les effets d’un fait accompli, l’eût empêché de s’accomplir. Et Benedetti aurait ainsi, sans autre effort que celui d’une franchise obligée, rendu un service capital à son gouvernement et à son pays. On le voit, par le récit véridique du premier grand Conseil que nous tînmes dans ces journées décisives, et on le verra encore mieux bientôt : dans nos délibérations, tout fut réfléchi, méthodique, cohérent, et nos résolutions ne varièrent que parce que les événemens varièrent eux-mêmes.


III

La séance terminée, nous étions presque tous sortis de la salle du Conseil et nous étions rendus au salon, sauf Segris, Maurice Richard et Parieu, qui causaient dans un coin, et l’amiral Rigault qui se tenait dans l’embrasure d’une fenêtre. Le Bœuf, qui avait suivi un instant l’Empereur dans ses appartemens, rentre subitement dans la salle du Conseil, agité et soufflant, jette son portefeuille sur un petit meuble en chêne placé près de la porte et s’écrie : « Si ce n’était pas pour l’Empereur, je ne resterais pas cinq minutes membre d’un tel Cabinet, qui, par ses niaiseries, compromet les destinées du pays. » Segris s’arrête stupéfait, Richard s’approche pour le calmer : « Voyons,