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VII

Roon et Moltke étaient à Berlin. Roon y était accouru le 10, Moltke y arriva le 13. Ce jour-là, Bismarck les avait invités à dîner pour qu’ils reçussent avec lui les nouvelles décisives. La première vint de Paris ; c’était le compte rendu de la séance dans laquelle Gramont avait lu notre déclaration du 13. L’interpellation avait été terminée à deux heures et demie, et aussitôt l’ambassade prussienne et les agences diverses en avaient expédié de tous les côtés le compte rendu : comme il était court et en clair, il n’y avait pas eu de temps perdu à chiffrer et à déchiffrer, et il était arrivé très tôt partout dans l’après-midi. Bismarck, avec sa rapide perception, en comprit la portée : nous ne soulèverions aucune question nouvelle, par conséquent, pas de récriminations sur le mépris du traité de Prague, pas de réserves contre l’unité allemande, rien en un mot de nature à éveiller la susceptibilité nationale ; notre phrase molle sur la négociation en cours, comparée à la vigueur de notre ultimatum du 6 juillet, donnait la certitude que nous étions prêts à nous arranger et à ne pas persister dans la seule de nos demandes de nature à déchaîner le conflit : les garanties pour l’avenir. C’était donc encore la paix comme le 12 au soir. La guerre dont il avait besoin lui échappait une seconde fois. Sa colère devint un accablement morne. C’est ainsi que Moltke et Roon le trouvèrent. Il leur confirma ses dispositions de retraite : il lui paraissait évident que le Roi s’était laissé enguirlander ; la renonciation Hohenzollern allait probablement devenir un fait consacré par Sa Majesté ; il ne pouvait prendre son parti d’un tel recul. Roon et Moltke combattent sa résolution : « Votre position, leur répond-il, n’est pas semblable à la mienne ; ministres spéciaux, vous n’avez pas la responsabilité de ce qui va se passer ; mais moi, ministre des Affaires étrangères, je ne puis assumer la responsabilité d’une paix sans honneur. L’auréole que la Prusse a conquise en 1866 va tomber de son front si l’on peut répandre parmi le peuple l’idée « qu’elle cane. »

On se mit à table tristement. A six heures et demie, arrivait la dépêche d’Abeken. Bismarck lut cette dépêche pâteuse qui, certes, n’était pas sans venin, mais qui ne mettait aucune impertinence en relief, et surtout, laissant entr’ouverte la porte de la