Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en fait une à plaisir, il est ridicule de donner à son héroïne un sentiment si extraordinaire. L’auteur, en le faisant, a plus songé à ne pas ressembler aux autres romans qu’à suivre le bon sens. Une femme dit rarement à son mari qu’on est amoureux d’elle ; mais jamais qu’elle a de l’amour pour un autre que pour lui ; et d’autant moins qu’en se jetant à ses genoux, comme fait la princesse, elle peut faire croire à son mari qu’elle n’a gardé aucunes bornes dans l’outrage qu’elle lui a fait. D’ailleurs il n’est pas vraisemblable qu’une passion d’amour soit longtemps dans un cœur, de même force que la vertu. Depuis qu’à la Cour, en quinze jours, trois semaines ou un mois une femme attaquée n’a pas pris le parti de la rigueur, elle ne songe plus qu’à disputer le terrain pour se faire valoir… » — Ce Bussy, qui n’est qu’un sot, comme vous savez depuis longtemps, avec un peu d’esprit de raillerie par-ci par-là, parle déjà le langage de la Régence de 1715.

Cependant il y a dans le fatras impertinent que nous venons de lire un mot de critique, de vrai critique, qui a échappé à Bussy et sur lequel il y a lieu de s’arrêter. « Cet aveu extravagant ne peut se dire que dans une histoire véritable. » M. de Bussy entend par-là que ce qui est exceptionnel peut être vrai ; mais qu’il faut que le lecteur ou l’auditeur sache qu’il est vrai, ce qui le contraint bien à l’admettre. A Versailles, un gentilhomme raconte que Mme de Vouneuil a avoué à son mari qu’elle aimait M. de Béruges et l’a supplié, comme son meilleur ami, de la protéger contre l’ennemi et contre elle-même. « Je le tiens du mari, » ajoute le gentilhomme. La chose est vraie ; on la trouve intéressante, touchante, folle, selon les goûts, extraordinaire surtout ; mais précisément on l’admire comme extraordinaire et d’autant qu’elle est extraordinaire. Mais dans « une histoire faite à plaisir, » il faut éviter l’extraordinaire parce qu’il est invraisemblable et qu’il ne touchera point parce qu’il est invraisemblable ; et c’est justement l’inverse de ce qui avait lieu tout à l’heure.

D’accord, et nous avons ici tout simplement la théorie du roman réaliste, lequel doit éviter même le vrai quand le vrai s’écarte de la moyenne. La sœur de Balzac lui reprochait une invraisemblance dans un de ses romans : « Mais puisque l’histoire est vraie ! » criait Balzac. La sœur de Balzac aurait pu répondre : « Qu’est-ce que ça fait ? Il ne s’agit pas de me raconter un fait divers vrai, mais de raconter des choses qui