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d’Argus ; il faisait empoigner Roméo, le claquemurait en pénitence, rédigeait un rapport, et bientôt la Petite Force enseignait à Juliette la prudence ou la pudicité.

A gauche du préau se dressait un colossal amas de pierres, subite apparition du moyen âge, donjon énorme de forteresse, couronné de créneaux, surmonté d’un faîtage aigu, et flanqué de quatre tourelles ; la demeure autrefois superbe des hommes au manteau blanc, mais lugubre aujourd’hui, noire, vétusté, rongée de moisissures, déshonorée sur ses murailles par des barreaux et des abat-jour de prison : la Tour ; — la Tour, naguère témoin de tant de royales tortures, receleuse de tant de forfaits populaires ; la Tour où les Bourbons avaient souffert leur seule douleur, pleuré vraiment de véritables larmes…

Dans la vaste largeur du sinistre bâtiment, une étroite poterne ouvrait sur le promenoir. On entra, on monta l’escalier à vis ; des étages, encore des étages, et l’on arriva sous les combles de l’édifice. Une logette était vacante ; on y conduisit Donnadieu ; puis, un double grincement de serrure, des verrous, des loquets tirés ; un bruit de pas s’éloignant, décroissant, finissant ; alors le lourd silence de la mise au secret : le captif était laissé à ses réflexions.

Elles devaient être désolées…

Quoi ! durant tant de campagnes, par les gels de nivôse ou les brûlures de thermidor, avoir chargé, pointé, sabré les violateurs de la patrie ; porter les « stigmates de la gloire » sur un corps que perforaient jusqu’à douze blessures ; sentir, enfoncées dans sa chair, des balles autrichiennes qu’on n’avait pu extraire, — et pour toute récompense, un cabanon du Temple !

C’était l’heure où dans le Palais des Tuileries, le général Menou était reçu par le Premier Consul, et présentait à Bonaparte le délateur La Chevardière[1].


III. — MAGISTRAT DE SURETE

La nuit était tombée ; déjà une pesante torpeur ensommeillait le Donjon taciturne, quand de nouveau la serrure crissa, la porte fut ouverte, et le geôlier Popon entra dans la cellule de

  1. Voyez la Revue du 1er juin 1908.