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venu heurter à la mansarde où logeait le conspirateur… « Ouvrez au nom de la loi. Je vous arrête. — Pourquoi ? — Ne raisonnons pas. » Au Temple, néanmoins, ce militaire sans discipline avait raisonné, voulu dauber l’imposant Fardel, protesté de son innocence, écrit lettres sur lettres à Desmarest, fait appel à l’honneur de Fouché : « Je réclame votre justice ; j’implore votre honnêteté. » Donc, la mise au secret ! Vibrant d’indignation, Marius alors s’était adressé à la Muse ; il avait pris la plume, sa noble plume de poète ironiste, et l’altière satire était sortie de son phébus :


Malheur à l’homme libre, enfermé dans cet antre !
L’atroce tyrannie en fureur lui dit : Entre…


Des rimes déjà parnassiennes ! Mais le cerbère de l’ « antre, » concierge prosaïque, avait confisqué la satire et mis son archiloque en pénitence. D’ailleurs, au cours de sa carrière, cet homme insensible aux neuf Sœurs avait coffré tant et tant de poètes[1] !

Ce jour-là cependant, malin dresseur de pièges, il avait levé les arrêts pour mettre en présence Bernard et Donnadieu. Son coup de théâtre était habilement machiné. Les deux maladroits, croyait-il, allaient courir l’un à l’autre, se presser tristement la main, trahir ainsi leur complicité… Eh non ! la peur d’avoir affaire à un mouton les rendait ombrageux ; Bernard se dandinait avec indifférence ; Donnadieu lui tournait le dos : scène à effet manquée ! L’ingénieux Fauconnier ressentit de l’humeur, et les mauvais plaisans furent vite ramenés dans le Donjon.

Méfiant Donnadieu ! De nouveau ses journées s’écoulèrent dans les mélancolies de la mise au secret et l’énervement de l’attente. Aucun bruit du dehors ne lui parvenait ; mais, à certains indices, il devinait de gros périls.

Le 26 floréal, on l’avait brutalement destitué : « Au nom du peuple français, Bonaparte, Premier Consul, arrête ce qui suit : Le citoyen Donnadieu, chef d’escadron, est destitué. Il sera retenu jusqu’à ce qu’il soit pris des mesures définitives à son égard… » Mesures définitives ? Lesquelles ?… Irrité, il écrivit une lettre impertinente au ministre Berthier : « Mes

  1. Le reste de la pièce est écrit en vers sans césures ou de treize et quatorze pieds… Beau début, grand Marius, mais ignorance complète de la métrique !