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intervention auprès du Premier Consul ? Je suis malade : voyez ma jambe enveloppée de flanelle ! Faut-il pourtant que je monte en voiture, qu’on me porte à la Malmaison ? J’y consens ; mais à quoi bon ? On m’a rendu suspect à Bonaparte ; si je lui rends visite, il croira que je viens défendre un complice. Désolé, citoyen, désolé ; mais démarche impossible ! Allez donc, au plus vite, causer avec Augereau. »

Augereau, dans son appartement de la rue de Grenelle, fit montre de sentiment plus affectueux encore… « Donnadieu, son ancien aide de camp, en prison ? Quelle effarante nouvelle ! J’irai chez le Premier Consul ; je lui parlerai, j’invoquerai sa justice ; je… Mais non ; il ne voudra pas me comprendre ! Terrifier est chez lui un système, sa façon de gouverner la France. Moi, je ne l’approuve pas ; il le sait bien, et me tient à l’écart. Aussi, par intérêt pour Donnadieu, croyez-moi, je ne dois pas agir. Portez-lui mes vœux, tous mes vœux, rien, hélas ! que mes vœux… » La blague parisienne après la cassade provençale ! Leur crainte de Bonaparte arrêtait tout élan chez ces généreux protecteurs. Ils savaient affronter la mitraille, entendre siffler, impassibles, les balles et les boulets ; mais la peur du « singe vert, » du « petit Corse » qu’ils détestaient, rendait prudente leur jalousie.

Année écrivit donc à Donnadieu des lettres attristantes. Toutefois, elles s’égarèrent en route, prirent le chemin des Tuileries, et s’en allèrent dans la maison où demeurait Davout. Les dossiers de son cabinet noir s’enrichirent de documens nouveaux ; insignifians, du reste : les généraux ne voulaient point parler.

Partout ailleurs, même insuccès ! Le bon jeune homme prodiguait les visites ; mais toutes elles ressemblaient à celles de M. Dimanche ; on l’éconduisait poliment, avec force regrets : le joyeux vaudevilliste eût pu chansonner ses démarches, en couplets de facture, sur l’air de la Sauteuse… Pourtant, ami infatigable, il monta derechef en patache, gagna le village de Saint-Maur, et se présenta chez Oudinot[1].


VII. — CHEZ OUDINOT

A Polangis, dans son coquet mesnil à façade fleurie, Oudinot ne donnait plus aucun dîner. Son « orgie militaire, » — le

  1. Année, loc. cit.