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il devait le faire plus tard, dans la démagogie, il se bornait à convier le peuple « au banquet d’espérance, » lorsqu’il adjurait les catholiques de ne point montrer à la démocratie un visage systématiquement hostile, il ne faisait également que devancer les instructions de Léon XIII. Aussi le ton des auteurs catholiques qui se sont occupés de lui le plus récemment s’est-il modifié de façon singulière. C’est ainsi que M. l’abbé Roussel, dans son Lamennais d’après des documens inédits, et M. l’abbé Boutard, dans son Lamennais, sa vie et ses doctrines, ouvrage tout à fait remarquable, récemment couronné par l’Académie française, ont tous deux parlé de l’auteur des Affaires de Rome non seulement avec égards, mais avec sympathie, et que, tout en portant sur lui le jugement qu’il est impossible à un prêtre de ne pas porter, ils ont plaidé en sa faveur les circonstances atténuantes. Dans un autre camp, M. Spuller lui a consacré une biographie qui est presque un dithyrambe, car il a découvert dans le prêtre Breton un ancêtre de la troisième République. A quelque point de vue qu’on se place, l’heure est donc favorable à Lamennais, et je la crois propice à la publication d’une correspondance, demeurée jusqu’ici inédite, qui m’a été confiée. Cette correspondance, très différente par le ton de celles qui ont été publiées jusqu’à présent, le fera voir sous un jour assez intéressant et nouveau ; mais il faut d’abord faire connaître les circonstances dans lesquelles cette correspondance s’ouvrit.


I

L’année 1818 fut, dans la vie orageuse de Lamennais, à la fois la plus brillante et la plus paisible. Le premier volume de l’Essai sur l’indifférence en matière de religion avait paru vers la fin de l’année précédente, et, d’inconnu la veille, l’avait, presque du jour au lendemain, rendu célèbre. « Ce livre-là réveillerait un mort, » disait Mgr Frayssinous pour qui Lamennais devait bientôt se montrer si sévère. Chateaubriand lui prédisait l’immortalité ; un écrivain religieux le comparait à Pascal, et Lacordaire pouvait, bien des années après, dire sans exagération « qu’il s’était trouvé en un seul jour investi de la puissance de Bossuet. »

Cet éclatant succès n’avait rien changé à la vie et aux habitudes très simples de Lamennais. Il demeurait alors dans cette