Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/703

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

française (no 98). Ce que nous voyons suffit pour nous donner l’idée non pas de sa beauté statuaire, mais de son masque, ou du moins de l’un de ses masques : « Sa taille est colossale, dit une Anglaise qui la vit à Dresde, mais, excepté ses pieds, qui sont affreux, bien proportionnée. Elle a de gros os et un extrême embonpoint. Elle ressemble au buste d’Ariane ; le dessin de tous ses traits est délicat comme la forme de sa tête, et, particulièrement, de ses oreilles ; ses dents sont un peu irrégulières, mais assez blanches ; ses yeux bleu clair avec une tache brune dans l’un, ce qui, quoiqu’un défaut, n’enlève rien à sa beauté et à son expression. Ses sourcils et ses cheveux sont sombres et son teint, fort. Son expression est fortement marquée, variable et intéressante. » Voilà plus de touches littéraires que Romney n’en a mis de picturales sur sa toile, et toutefois, sa facture emportée, brûlante, décisive, nous en dit autant que tous ces témoignages, et même un peu plus. Nous voyons à l’écartement des yeux, à l’épaisse rondeur du visage, à la souplesse du cou, que lady Hamilton n’était pas un type, au total, très différent de la paysanne habituelle de Greuze. Mais ce devait être un type beaucoup plus parfait. Rien ne serait plus intéressant que la réunion de tous les portraits d’elle ou de toutes les fictions qu’elle a inspirées à de grands artistes : en Bacchante, en Cassandre, en Circé, en Euphrosyne, en Sainte Cécile, en Lady Macbeth, en Diane, en Jeanne d’Arc, en Ariane, en Calypso, en Iphigénie.

On verrait alors, cette extraordinaire diversité d’expressions ne la montrant jamais semblable à elle-même, que c’était, là, une simple statue, une statue animée. Un seul homme la prit pour une âme vivante, et cette méprise eût couvert cet homme de ridicule, si quelque erreur en botanique, en entomologie ou en psychologie féminine pouvait rendre ridicule un héros. Lorsque le pauvre Nelson, revenant à Naples, après la bataille d’Aboukir, manchot, borgne, couvert de gloire, la tête, enveloppée d’un linge et d’une auréole, vit apparaître sur le pont du Vanguard la belle Hamilton, en une attitude évanescente, prête à s’écrouler sur son unique bras, il crut voir une âme débordante de tendresse, tandis qu’il n’y avait, là, qu’un souvenir adapté de l’antiquité par une sœur cadette d’Hécube ou de Niobé. Sans doute, dans son culte pour cette insensible idole, le héros se diminua, un peu, à certains yeux. Mais il ne fut pas