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son clavecin : vous n’en trouverez pas une aussi précisément définie chez aucun maître anglais. Dans le petit salon où sont réunis les dessins rehaussés de couleurs, le peu qu’on y voit de Watteau relègue bien loin les Downman et les Cosway. On raconte que Ramsay étant à Rome, le président de l’Académie lui fit visiter l’école et lui montra tous les dessins des élèves, puis entreprit de leur faire avouer que l’Angleterre n’avait rien qui pût lui être comparé. Sur quoi Ramsay, indigné, écrivit à Davies Martin de remplir une malle de ses dessins et de les apporter, sur-le-champ. Ce fut fait et l’Angleterre, au dire de Ramsay, confondit ses rivaux. Mais sans savoir ce qu’étaient les exemples donnés par Davies Martin, ni ceux que pouvait mettre en ligne l’école de Rome, il est bien permis de douter que la victoire fut si éclatante…

Elle l’eût été si, du dessin, on eût passé à l’éclairage, à la couleur et à la facture. L’éclairage des Anglais est fort arbitraire, plus arbitraire encore que celui des Français, à la même époque, mais il est puissant. Delacroix, qui leur reproche le procédé, demeurait ébloui du résultat. Tous les Anglais plongent leurs figures dans une ombre profonde, puis ils font tomber sur le front un jet de clarté qui l’éclairé vivement et n’éclaire rien d’autre autour de lui. Sous le nez, au coin des arcades sourcilières, parfois au coin des lèvres, les ombres portées, que cette clarté détermine, tranchent sur le ton de la chair comme des mouches posées par la nature. Cet accent d’ombre sous le nez est la caractéristique, la plus marquée du portrait anglais : c’est, véritablement, le made in England estampillé, là, par ses peintres. Pratiquement, un tel éclairage ne peut s’obtenir qu’en plaçant le modèle dans une chambre obscure et en canalisant vers lui la lumière de la fenêtre par un long tube qui empêche les rayons de diverger. Dans la nature, il n’existe pas ; mais, seul, il permet de voir, çà et là, ce que les Anglais recherchent avant tout dans le modelé, dans les valeurs et dans les couleurs : l’accent.

Le second contraste qu’on ressent très vivement, en passant de l’une à l’autre salle, est l’antithèse de la couleur. En entrant chez les Français, il semble qu’on entre dans un bain bleu. Les draperies, les fonds, les yeux, les nœuds, les échelles de rubans et les coques, les feuillages, les nues, tout est bleu ou va l’être. Même quand il n’y a pas de bleu pur dans les figures et leur costume, l’air qu’elles respirent est bleu. Rien de pareil chez les