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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/730

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apparaissait plus grand que la grandeur même de la Révolution. Devant de tels colosses, les peuples effarés se prosternent ; mais malheur aux nations idolâtres qui, dans l’extase de leur admiration, s’abandonnent et s’anéantissent !


Les conspirations récemment découvertes, — l’affaire Donnadieu et le complot des Libelles, — pouvaient servir à ses desseins. Personne encore, dans la France abusée, ne soupçonnait chez Napoléon cet amour de la guerre, ni ce cruel dédain pour la douleur des peuples, qui plus tard soulevèrent contre lui l’Europe exaspérée par la souffrance. On croyait pacifique « le Pacificateur des Continens et des mers ; » on supposait humain le « Consolateur de l’Humanité. » Aussi, le jour de Pâques 1802, trois cent mille Parisiens avaient acclamé un victorieux qui renonçait à la victoire, et le tumulte de leur enthousiasme l’avait, un moment, fait sourire[1]. Maintenant, il voulait profiter de la menteuse légende, effrayer un pays désireux de repos, aviver sa terreur des nouvelles aventures, et transformer en péril public un danger personnel… « Le populaire, a dit un philosophe, est soupçonneux envers celui qui l’aime, simple et crédule envers celui qui le trompe. » Or, Bonaparte le trompait.

Pour mieux frapper l’imagination de la foule, il faisait montre de précautions. On ne le voyait plus que rarement à Paris. Son reposant château de la Malmaison ressemblait aujourd’hui à une citadelle que protégeaient des fantassins et des cavaliers de la Garde. Sur la route de Saint-Germain, dans les sentiers contournant le mesnil, des soldats se tenaient en faction… « Demi-tour ! Au large !… » Et le passant s’écartait, effrayé. Chaque fois que Bonaparte se rendait aux Tuileries, tout un escadron l’escortait. Les guides, sabres au poing et pistolets chargés, précédaient, suivaient, entouraient sa calèche ; dans l’avenue des Champs-Elysées, ces chasseurs partaient au galop, déblayaient la chaussée, repoussaient les voitures, dispersaient les curieux, pénétraient dans les contre-allées, en fouillaient les massifs : toute une ostentation de terreurs théâtrales ! Sceptique et narquois, le Parisien souriait, s’intrigant néanmoins ; mais, plus naïf, le provincial avait pris l’alarme…

Bientôt d’étranges rumeurs coururent dans les départemens,

  1. Voyez la Revue du 15 octobre 1902 et notre Complot des Libelles.