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et des Hohenzollern, et de l’avenir : le présent seul les occupait. Se flattant de la victoire que les généraux leur promettaient, ils voulaient d’une guerre dont nous ne voulions pas, afin de nous débusquer du gouvernement, de le reprendre et de jeter au ruisseau, comme une loque, le régime libéral. Ils attendaient de la mauvaise humeur du roi de Prusse le rejet de la demande de garanties : ils supposaient que ce refus aigrirait les esprits, que la querelle envenimée de part et d’autre les amènerait, par cette voie détournée, à la guerre.

Entre la poussée belliqueuse de la Droite et la politique pacifique du ministère, l’Empereur oscillait, se laissant tour à tour aller à l’une ou à l’autre de ces impulsions. La paix paraissait-elle assurée, il regrettait les satisfactions que la guerre eût données au pays et ressentait une secousse guerrière. La guerre semblait-elle imminente, il reculait et retombait sur son fond pacifique. Cette fois, en adoptant la demande de garanties de la Droite, il semblait bien qu’il eût pris parti pour la guerre, et comme il était certain que pour cette politique il n’obtiendrait ni mon concours, ni celui du Cabinet, il l’imposait par un acte de pouvoir personnel au seul de ses ministres qui pût se prêter à un tel oubli des règles protectrices du régime parlementaire. Gramont n’était pas imbu des exigences de ce régime ; il restait l’ambassadeur habitué à obéir à tous les ordres de son souverain ; de très bonne foi, il n’eut pas l’idée que ce n’était pas correct, et, ministre parlementaire, il s’associa à un acte destructif du pouvoir parlementaire. De sa part, ce n’était qu’obéissance et non préméditation belliqueuse ; de la part de l’Empereur, j’en suis sûr, ce n’était que condescendance de la faiblesse, non volonté décidée de guerre. Mon habitude des procédés de son esprit et de la facilité avec laquelle, sans se laisser arrêter par des considérations d’amour-propre, il revenait sur ses pas s’il s’était trop avancé, me donne la conviction qu’une arrière-pensée le décida à passer de la sage résolution des Tuileries à la folle improvisation de Saint-Cloud. Il se dit qu’après tout cette demande de garanties, à laquelle il n’avait pas donné la forme d’un ultimatum public, n’était pas d’une telle nature qu’elle ne pût être abandonnée, si elle devait conduire à la guerre. Il oubliait que, dans des situations aiguës, certains actes produisent des effets immédiats et irrévocables et entraînent où l’on ne voulait pas aller.