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Mais ce n’est pas manquer de la réserve convenable aux profanes que de s’enquérir des résultats obtenus par les savans et d’en dire son impression. Les investigations des philologues perdraient quelque chose de leur prix si elles devaient rester indéfiniment le secret des initiés, et si la foule des lecteurs étrangère aux procédés d’une science hermétique ne devait au moins de temps en temps recueillir des conclusions. Les pages qui suivent n’ont d’autre objet que de faire connaître des travaux d’histoire littéraire qui intéressent l’Europe lettrée, et quand déjà la découverte de M. Joseph Bédier est étudiée à Rome, à Vienne et à Berlin, elles tendent simplement à nous renseigner d’une manière plus complète.


II

Il faut voir M. J. Bédier à l’œuvre et le suivre dans sa recherche. La méthode ici se confond avec l’invention. M. J. Bédier d’ailleurs nous invite lui-même à refaire en sa compagnie le chemin qu’il a parcouru. Ce n’est point par le raisonnement, c’est par l’expérience qu’il entend nous persuader. Nul homme n’est moins dogmatique, et l’on peut l’en croire quand il dit qu’il n’a pas eu d’idée préconçue. Mais il n’est personne non plus qui, devant une vérité nouvelle, soit mieux disposé à lui faire accueil, si elle lui paraît s’imposer. Il y a en lui un savoureux mélange de réserve et d’audace, de simplicité et d’enthousiasme, de rigueur critique et de délicatesse intellectuelle. On risque de le méconnaître si l’on ne se souvient qu’il est l’auteur d’un savant ouvrage sur les Fabliaux et qu’il a composé aussi, à l’aide des romans anciens, un texte poétique de la légende de Tristan et Yseult. C’est dire tout ce qu’il a pu mettre de sévérité, d’intelligence et de goût dans ses études sur les légendes épiques. Lorsqu’il les a entreprises, il y a plusieurs années, il ne soupçonnait guère où elles devaient le conduire. Il lisait alors en grammairien les chansons qui composent le cycle de Guillaume d’Orange. Il songeait à éditer l’une d’elles, et, comme il avait pris plaisir à cette lecture, il projetait de consacrer à ce sujet une année de son cours au Collège de France. Mais il lui fallait auparavant faire une recension méthodique des textes, examiner les diverses chansons du cycle, rechercher quels sont les personnages et les événemens auxquels il est fait allusion. Ces études étaient toutes