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III

Après avoir résisté aux ministres et contrarié le peuple, il ne restait plus à notre intendant, pour devenir un objet complet d’animadversion et de disgrâce, qu’à mécontenter les nobles de la province. La vérité nous force de reconnaître que Montyon s’y employa.

Tout d’abord, les heurts furent rares, parce que les rencontres l’étaient aussi. À l’exemple de la plupart de ses confrères, Montyon, en effet, ne résidait pas, ou résidait peu.

Mais, à la fin de l’année 1770, il crut devoir s’installer et s’accommoder à Clermont, dans le vieil et bourgeois hôtel de l’Intendance, situé rue des Gras. Assemblant à sa table, en des réunions qui passèrent vite pour fort animées[1], toute la bonne compagnie du pays, il ne tarda pas à être convié chez elle ; on le voit alors portant dans le monde auvergnat l’agrément inséparable d’un homme d’esprit, qui connaît Paris et Versailles autrement que par les gazettes, promenant fièrement quelques-unes des lettres qu’il a reçues de ses amis, grands faiseurs de bons mots, ou grands nouvellistes. Aujourd’hui la missive est de Depont, l’intendant de Moulins ; elle relate les bruits de cour, apportés jusqu’aux rives de l’Allier par Mme de Brionne, Mlle de Lorraine et Mme la princesse de Ligne qui se rendent à Vichy. Demain la lettre sera de Mme d’Épinay ; vrai régal, que Montyon juge trop délicat pour les oreilles clermontoises, et qu’il réserve aux raffinés de Riom, l’Athènes auvergnate. « Ah ! ah ! mande en effet à Galiani l’aimable femme, vous dites que je vous ai écrit une lettre charmante ! Cela peut bien être. Mais j’espère que vous garderez vos réflexions pour vous et ne faites pas comme notre cher intendant d’Auvergne, qui s’en va nigaudement lire une de mes lettres au milieu d’un cercle à Riom ! Ne voilà-t-il pas que j’ai une réputation à soutenir en Auvergne, à présent ? Je ne pourrai lui écrire, sans penser à ce que je dis[2] ! »

Ni la cordialité de son accueil, ni le plaisir que l’on trouvait dans son commerce, ne parvinrent cependant à attirer vers Montyon la noblesse proprement locale et indépendante ; trop pauvres, pour figurer honnêtement à la Cour, ces hobereaux se

  1. Archives du Puy-de-Dôme, C. 1096.
  2. Mme d’Épinay à Galiani, 27 janvier 1771.