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l’inquiétude générale, les dithyrambes, la mise en scène, les appels emphatiques à la confiance le choquent comme une faute de goût. Est-ce la peine d’ailleurs d’entonner des chants de victoire à la veille des journées de Juin, lorsque la brutalité de l’insurrection va infliger un démenti à l’optimisme officiel ? Tout en maugréant contre la sottise des gouvernans, Edmond Rousse et son frère n’en remplissent pas moins leur devoir de citoyens, devoir clair et redoutable. Paris, presque sans armée, n’avait guère pour se garder que le courage des anciens émeutiers transformés en gardes mobiles et la bonne volonté de la garde nationale. Celle-ci comprit heureusement ce qu’on attendait d’elle, la défense énergique de la société menacée, le salut de Paris livré aux Barbares. Edmond Rousse si modeste, si timide d’ordinaire, fut un des premiers à sonner la cloche d’alarme. Le matin du 23 février, il avait à plaider au Palais de Justice, lorsque des bruits inquiétans commencèrent à circuler. On parlait de barricades, on avait surpris des gens qui dépavaient les rues. Pendant qu’on discutait, qu’on s’agitait, et que, comme d’habitude, on exprimait les avis les plus différons, le jeune avocat eut l’intuition rapide d’un danger immédiat. Il se jeta dans un groupe de robes noires en disant : « Notre place n’est pas ici ; chacun à son poste, à nos légions ! » Et tout le monde de courir.

Les deux frères, si étroitement unis qu’on ne peut parler de l’un sans parler aussitôt de l’autre, reçurent ce jour-là le baptême du feu sur le plus terrible des champs de bataille. De toutes les formes de la guerre, la guerre civile est la plus douloureuse. Ceux qui ont passé par cette épreuve en gardent l’horreur gravée en traits ineffaçables dans leur mémoire. Ce n’est pas la lutte de deux ennemis qui se rencontrent loyalement face à face. c’est le guet-apens en permanence, la mort qui vous arrive de tous les côtés à la fois, en avant, en arrière, par les fenêtres des maisons, par les soupiraux des caves aussi bien que par les meurtrières des barricades. Dans ce rôle de soldats improvisés, Edmond Rousse et son frère firent bonne contenance. La deuxième légion, à laquelle ils appartenaient, passa trois heures au faubourg Saint-Martin, enveloppée par l’insurrection, jusqu’à ce que le général de Lamoricière eût pu venir la délivrer avec deux bataillons de ligne. Le récit de la bataille qu’Edmond Rousse adresse à son ami Vesseron indique avec quelle facilité se forment les légendes au milieu de la fièvre