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mule même du libéralisme de M. Faguet. Les « étatistes » ne lui reprocheront pas, — ou plutôt ne devraient pas lui reprocher, — de faire à leur « nouvelle idole » une trop maigre part. En fait, peu d’esprits ont été plus armés, plus en défiance contre l’individualisme que M. Faguet. Seulement, s’il rend très volontiers à l’État ce qui appartient à l’État, il ne consent pas à tout lui sacrifier. Il reprend à son compte, et il développe, et il commente le mot célèbre de Benjamin Constant : « Le gouvernement en dehors de sa sphère ne doit avoir aucun pouvoir ; dans sa sphère, il ne saurait en avoir trop. » Mais, quand il s’applique, dans le détail, à « tracer les contours de cette sphère, » il le fait avec cet esprit de prudence, de mesure, d’entière soumission aux faits et aux réalités, qui est la marque propre de son tempérament.

C’est ce même esprit de sage libéralisme qu’il a porté dans l’étude des questions sociales. Dans son premier volume de Questions politiques, on pouvait lire un long, un capital article sur le Socialisme en 1899. Il y avait là, en une centaine de pages, un historique, un exposé, une discussion critique des principes du socialisme, qui me paraît être un modèle accompli de bon sens, de loyauté, de lucidité, et, en même temps, un curieux essai d’« utilisation » du socialisme, dans ce qu’il peut avoir de bon, de juste, — et de pratique. Je ne sais jusqu’à quel point les théoriciens du socialisme contemporain ont su gré à M. Faguet de ce généreux effort ; mais en tout cas, cet effort même ne dénote point, on en conviendra peut-être, un esprit étroit, fermé aux nouveautés, figé dans un conservatisme rigide et inhospitalier. Peu d’esprits de nos jours, à vrai dire, ont été, — peut-être même quelquefois y met-il une certaine affectation de coquetterie, — plus naturellement accueillans que M. Faguet. Il nous disait tout à l’heure de lui-même qu’« il poussait la conscience jusqu’à être peu bienveillant. » Il se calomniait. « Bienveillance de pessimiste pour les personnes, » c’est une des qualités que lui reconnaît à juste titre M. Jules Lemaître. Cette bienveillance s’étend aussi aux idées. Ce « libéral » n’a pas peur du socialisme, et ni le mot, ni la chose ne l’effarouchent. Elles l’effarouchent si peu qu’il a, plus récemment, et dans le même esprit, repris et remis au point et développé son article de 1899 en un juste volume sur le Socialisme en 1907. Quelque « radical » que soit, de son trop modeste aveu, le « scepticisme » de M. Faguet touchant « sa force de persuasion, » le succès même