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jamais vu. C’est Renan, qui rompt avec le catholicisme, pour aboutir à une autre forme de scepticisme, au scepticisme qui consiste à croire à tout, et à accueillir tous les contraires comme des aspects divers de la vérité. C’est Manning, qui abandonne le protestantisme pour se jeter dans le catholicisme le plus tranché et le plus intransigeant.

Qu’est-ce à dire ? Que les âmes ont des besoins divers et contraires, et que chaque doctrine établie répond à un de ces grands besoins en lui sacrifiant les autres, sans qu’aucune jusqu’à présent soit assez vaste pour les satisfaire tous. Oui, le besoin d’autonomie spirituelle, d’indépendance .spirituelle, d’individualisme spirituel, est légitime ; et le protestantisme y répond et le satisfait. Oui, le besoin de libre recherche et d’éternelle discussion et de doute renaissant pour aiguillonner et stimuler à des recherches nouvelles est une forme encore, et essentielle, et légitime, de la vie de l’âme. Oui, le besoin d’union, d’unanimité, de communion universelle dans une même pensée est légitime aussi, et le catholicisme se présente pour y satisfaire. Et où se trouvera la doctrine qui pourra concilier tant d’exigences diverses et contradictoires et contenir en son sein une humanité qui a besoin et d’indépendance et de cohésion, et qui a le désir du port et aussi de la tempête ? Il n’est guère à espérer que cette doctrine se rencontre jamais. Respect, en attendant, à tous les hommes de foi et de bonne volonté, et Manning fut assurément un de ces hommes-là…


Et si cette doctrine de conciliation existait peut-être ? Si ce » pouvoir spirituel » dont a rêvé Auguste Comte n’était point une chimère ? La question, en tout cas, vaudrait la peine qu’un « moraliste politique » comme M. Faguet se la posât nettement, fermement, directement. Et s’il y vient de lui-même quelque jour, j’ose lui prédire qu’il n’aura pas écrit de livre qui réponde mieux à l’attente de ceux qui , il y a vingt ans, dévoraient passionnément son Dix-huitième siècle


J’ai conscience, au terme de cette longue étude, d’avoir bien imparfaitement embrassé et cerné ce souple, fécond et puissant esprit. Je n’ai pu que dégager et mettre en relief les « masses » essentielles de son œuvre, et marquer les principales étapes successives de sa pensée. J’aurais voulu, et j’aurais dû peut-être donner une idée plus exacte et plus complète de. sa prodigieuse activité. J’aurais dû le représenter menant allègrement de front, sans parler de son enseignement, les travaux les plus divers : feuilletons dramatiques, chroniques, articles littéraires ou politiques, préfaces souvent importantes aux ouvrages d’autrui, livres même, toujours prêt sur tous les sujets, fondant une Revue, la Revue latine, pour l’alimenter, lui presque tout seul, du trop-plein de sa pensée, se reposant de ses études sociolo-