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savoir ce qu’elle veut. Et quand la marine demande où est sa tâche, elle reçoit une réponse ou vague ou variable. Or le vague du but conduit à donner aux forces navales la composition la plus arbitrairement théorique. Nous avons donc subi l’application d’idées fantaisistes. En tactique, en matériel, faute d’avoir à résoudre un cas concret, chacun a voulu innover, atteindre un idéal que rien en théorie ne condamnait irréfutablement.

Au vague s’ajoutait l’instabilité. Après 1870, en face de l’Allemagne, un ne songea d’abord qu’à la défense, puis qu’à la revanche. Tout convergeait à la frontière terrestre, et le rôle de la marine restait indéterminé. Vint la fièvre coloniale. Elle comportait une flotte de stationnaires et de transports. Mais bientôt nos ambitions exotiques nous heurtèrent à la puissance anglaise. Et pour défendre contre elle nos colonies, nous devions garder libre passage sur les mers : il nous fallut des escadres, À peine engagée dans cette voie, l’opinion s’aperçut, au grand jour de Fachoda principalement, que l’adversaire éventuel aurait pour méthode une offensive brutale sur les côtes mêmes de notre territoire métropolitain. La surprise fut grande. On avait provoqué la guerre sans en prévoir les risques. Chaque bourgade exposée au bombardement sollicita sa couverture. D’où création de ces défenses dites mobiles, allongées en un mince cordon tout le long du littoral. — Et l’ère s’en ouvrait à peine, le cordon défensif commençait tout juste à prendre une ombre de consistance, les unités appropriées arrivaient au jour, quand l’entente cordiale, écartant le danger, retourna notre marine vers d’autres horizons : péril allemand, Triple-Alliance, flotte autrichienne, etc.

Dans tout cela, notre état-major cherche en vain une direction stable pour son travail de longue haleine. Plus que tout autre, l’art naval veut la constance dans l’effort et l’exacte appropriation dans les plans. On n’y improvise pas : il ne faut donc pas d’à-coups, et d’autre part la richesse, la variété, la puissance des moyens obligent à la précision des vues. Un pays qui demande à son état-major naval une force extérieure proportionnée à ce qu’elle coûte se donne des devoirs envers lui. La marine a droit à une direction qui, chez nous, lui fit défaut. C’est un déficit à porter encore à son bilan.

Les crédits. — Pour faire du bon matériel naval, il faut beaucoup d’argent. Il en faut encore pour entretenir et entraîner le