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généralement fondées sur les préjugés d’un milieu politique incompétent, jouet des utopies, trop heureux d’y croire lorsqu’elles promettaient une défense nationale à prix réduit.

On consultait parfois les grands conseils techniques, mais pour la forme. Dans un cadre tracé d’avance on leur demandait de fixer de simples détails. Un ministre nous dota lui tout seul des croiseurs-corsaires. Un autre, M. de Lanessan, soumet en 1900 au Conseil des travaux la proposition des sous-marins minuscules type Naïade. Sous la pression ministérielle, le Conseil, peu convaincu, en admet toutefois un exemplaire pour essai ; le ministre en commande vingt. M. Pelletan, aussitôt au pouvoir, s’efforce de suspendre la construction des six cuirassés dus à son prédécesseur et votés par les Chambres. N’y pouvant parvenir, il remanie entièrement les plans de quatre d’entre eux ; puis aux croiseurs type Gambetta il substitue le Renan et le Michelet, etc.

La seule fois cependant que le Conseil des travaux avait été laissé libre, en 1887, il avait donné au problème du matériel sa vraie solution, en créant deux types remarquables pour l’époque : le Brennus, le Dupuy-de-Lôme. Mais l’esprit jacobin ignore cette collaboration qui suppose l’indépendance et grandit le subordonné devant son maître d’un jour. Sous prétexte de discipline, il exige le silence des capacités techniques. Elles ne s’y sont que trop pliées.

On en trouve encore la preuve dans le domaine administratif. Qu’il s’agisse de réforme ou de gestion courante, on voit les méthodes logiques, faussées par l’esprit politicien, en porter l’empreinte caractéristique, à savoir une incapacité particulière à prendre les choses d’ensemble. Le manque de pondération constitue un trait professionnel du politicien. Les questions qu’il touche, il les déforme tout d’abord. Il se détermine par le petit fait sensationnel, instrument de persuasion vis-à-vis des foules et des assemblées, instrument de sa conviction, — quand il en a une, — vis-à-vis de sa propre ignorance. Résultat dans la marine : une succession de réformes partielles, toutes plus urgentes, plus passionnément poursuivies les unes que les autres. A chaque incident, vite un texte nouveau ; à chaque fissure une cheville : tout pour l’actualité. Et les réclamations les plus tapageuses satisfaites les premières, dans la mesure principale de leurs appuis politiques et de leur importunité. De là, de criantes disproportions :