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en coûte. Quant aux flottilles, incapables de préserver seules nos côtes d’un débarquement appuyé par une armée navale, elles n’ont chance de succès qu’en agissant par masses. Il fallait les grouper en divisions nombreuses ; et non aux points d’attaque des forces ennemies : aux points d’essor des nôtres, à proximité des escadres, au nœud des opérations. On a généralement fait l’inverse.

La même erreur de principe, celle de la stratégie défensive, préside à la répartition des bâtimens en réserve. Eux et les torpilleurs étant censés suffire à sauvegarder les ports secondaires, et d’ailleurs représentant une manne à répartir entre le plus possible de cités candidates, on en est venu à remiser dans des coins d’arsenaux, par petits paquets, les bateaux désarmés. De deux choses l’une : ou ils sont inutilisables pour la lutte décisive, et mieux vaudrait reporter sur d’autres les crédits ; ou l’état-major compte les mettre en ligne, et c’est aux grands ports d’armement qu’il faut les rassembler, à côté de la flotte active dont ils combleront les vides et soutiendront la sortie. En tout cas, ils ont droit à une surveillance, à des réparations, à un entretien minutieux. Inutile de conserver, si ce n’est pour tenir en état de reprendre usage. C’est ce qu’on paraît oublier. Un personnel insuffisant, instable, délaissé, mis à réquisition pour toutes les besognes de l’arsenal, voilà le lot de ces forces de seconde ligne, d’où peut dépendre la victoire finale. Point de chef commun qui d’avance les groupe en escadre, les étudie et les exerce. Les commandans provisoires, les officiers de passage, les hommes en corvée garantissent tant bien que mal d’une détérioration visible les organes les plus apparens : à la déclaration de guerre, ils embarqueraient ailleurs, laissant à de nouveaux venus la charge d’un bâtiment deux fois inutilisable, comme invalide et comme inconnu. Trop d’exemples en font foi : la réserve est la mort d’un bateau. Ceux qu’une mission inopinée rappelle à la vie n’en finissent plus d’accomplir des essais laborieux, éternisés en réparations ; et, poussés enfin hors du port, ils ne retrouveront jamais plus leurs qualités natives. En dépit des statistiques, on peut les rayer d’entre les bateaux vivans : ce sont des simulacres de forces.

De tout ainsi ; l’apparence au lieu de la réalité ; un effectif imposant de navires souvent sans valeur ; des stocks prévus sur le papier, mais inexistans ; une mobilisation toute théorique,