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nous contraindrait à les agrandir à peine terminées, Dieu sait avec quels frais supplémentaires !

De l’incohérence purement administrative nous signalerons ce dernier trait : les études poursuivies par un service restent à tel point ignorées des voisins, qu’on voit commander pour de vieux bateaux à la veille d’être déclassés, — le Magenta, le Duperré par exemple, — des chaudières de rechange, encore aujourd’hui sur les quais de Toulon où elles achèvent de se rouiller. Il faut chasser du Terrible, pour le livrer à la ferraille, les ouvriers occupés à y faire des installations nouvelles. Même la Section Technique, tenue dans l’ignorance des conclusions de l’Artillerie, en vint à dessiner des plans, — ceux de la Jeanne-d’Arc, croyons-nous, — les plans d’un bateau de guerre, c’est-à-dire d’un affût flottant, d’après un modèle de canon déjà remplacé en principe et qu’en effet on ne devait pas mettre à bord.

Tant de désordres ont une cause générale, la confusion des responsabilités. La responsabilité libre, vrai ressort des institutions modernes, qui va s’affirmant et se précisant, devient la grande règle des efforts communs ; seul, son accord avec la subordination, qui les concentre, leur donne l’élan, la souplesse, la fécondité nécessaires à leur complexité, à leur activité nouvelles. Par mille leviers responsables joue un mécanisme administratif bien fait. Ce n’est pas le cas de notre marine. La maladie dont elle souffre est une sous différens noms : dans les formes administratives, elle s’appelle excès de centralisation ; dans les réalités morales, absolutisme. La centralisation s’accentue à chaque période, à chaque réforme. D’une part, le ministre demeure au centre le seul intermédiaire et le seul juge ; dans les ports, d’autre part, il a peu à peu restreint l’autorité des préfets maritimes. A Paris, les directeurs, souvent choisis pour leur docilité, prennent l’habitude de porter d’avance au cabinet ministériel toute affaire qu’on leur saurait mauvais gré de se réserver. Et les bureaux de la rue Royale, insoucieux des pertes de compétence ou de temps, avides au contraire de se gonfler pour accroître leur importance, jouent vis-à-vis des ports et escadres le rôle d’une éponge, qui se vide ensuite au point central où converge la vie entière de la marine. C’est là, près du ministre, à son cabinet, antichambre de sa domination, que se concentrent, s’accumulent, s’éternisent les dossiers. Les attachés ont beau se multiplier de règne en règne, l’encombrement