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nous sommes aujourd’hui surpris ; car aujourd’hui, en ouvrant les plis confiés à la poste, on nous trouve dans l’intimité de notre home, en robe de chambre, en déshabillé. La marquise de Sévigné, au contraire, quand elle tient la plume, ne semble-t-elle pas en toilette de ville, presque en costume de Cour, en « grand corps d’habit, » lequel est impuissant cependant à raidir la souplesse de sa grâce enjouée ?

D’où ce détail, qui revient dans les lettres du vieux temps. En vedette apparaissent parfois ces mots : « Lisez bas ; » c’est-à-dire : « Gardez pour vous seul ce qui va suivre et passez-le quand vous donnerez lecture de la lettre à haute voix. »

Mme de Sévigné écrit pour tout un auditoire.

Là se trouve encore le secret de ces menues comédies mondaines, relevées par des auteurs contemporains et qui ne s’expliqueraient plus aujourd’hui. Arimont a des amis à dîner. Un domestique entre, lui remet une lettre. A peine en a-t-il pris connaissance qu’Ariste le prie de la lui montrer, « disant qu’il devait y avoir des nouvelles dedans. »

Pour documenter sa correspondance, on organisait de véritables services d’information. Celui que la marquise de Balleroy mit sur pied au commencement du XVIIIe siècle peut être cité comme modèle. Ses frères, ses neveux, parmi lesquels les deux d’Argenson, les amis de la famille, jusqu’aux domestiques, sont mis à contribution. Les domestiques sont parmi les fournisseurs de nouvelles les plus zélés. On imagine leur orthographe :

« Se seulement pour vous dire que l’on disoy ier au Tuilery que les ennemis marché du côté de Namur... » Et cependant les lettres de ces nouvellistes en livrée abondent en renseignemens utiles. Que nos brillans confrères de la presse contemporaine leur soient indulgens ! Nous leur avons donné pour ancêtres, — en ligne directe, — Mme de Sévigné, de Grignan, de Maintenon, Mlle de Scudéry ; c’est le premier échelon : le second est occupé par ces domestiques informateurs, reporters galonnés qui se glissent partout. On les rencontre au café et dans les promenades, dans l’antichambre des ministres, au parterre de la Comédie. Ils apprécient le jeu des acteurs et la valeur des pièces. Et leurs aspirations littéraires vont encore plus haut : « Les Mémoires du cardinal de Retz, écrit l’un d’eux, font ici beaucoup d’effet. Ils agitent les faibles et augmentent l’inquiétude des inquiets. » C’est un valet de chambre qui écrit ainsi au