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découvre les vues de la prudence de nos voisins et remue, à sa fantaisie, toutes les affaires de l’Europe ; ses intelligences même s’étendent jusques en Afrique et en Asie ; et il est informé de tout ce qui s’agite dans le Conseil d’en haut du Prêtre Jean et du Grand Mogol. »

Enfin les feuilles de nouvelles partaient pour l’étranger comme pour les provinces, sous pli fermé.

Après avoir fait encaisser ses abonnemens, le nouvelliste à la main avait accompli sa tâche, — bonne ou mauvaise, utile ou nuisible, nécessaire assurément. Il l’avait remplie de son mieux, dans la misère souvent, toujours dans l’angoisse de la lettre de cachet. Oh ! la terrible silhouette de l’exempt armé de son bâton rouge, coiffé de son feutre noir ! l’aspect plus sinistre encore de Bicêtre, « qui me faisait trembler les membres et claquer les dents, » dit le nouvelliste Fouilhoux. Et, dans ces feuilles fugitives, il avait mis parfois beaucoup de talent, un peu de son âme ; il y avait insinué, sous une forme plus ou moins déguisée, les sentimens de révolte qui grondaient en lui, le malheureux, le réprouvé, l’éternel déclassé, jusqu’au jour où il sera parvenu à déchaîner les colères populaires contre cette société riche, brillante et frivole, qui l’aura fait travailler, tout en le méprisant, qui l’aura laissé proscrire tout en se servant de lui, et qui tombera finalement, écrasée sous les décombres du monument qu’il aura ébranlé de ses mains fiévreuses.


V. — LA CONCURRENCE

La misère du nouvelliste est le beau côté de son existence, la concurrence en est le plus douloureux, la concurrence qui fait naître la jalousie, l’envie, la haine, la délation.

« Comment voulez-vous, dira le plus illustre d’entre eux, Figaro : la foule est là, chacun veut courir ; on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse ; arrive qui peut ! le reste est écrasé. »

Le plagiat est aussi ancien que la littérature. « Nous autres gazetiers, écrit l’auteur de la Quintessence des Nouvelles, nous nous pillons les uns les autres : c’est la mode. » Les chefs de bureaux de rédaction ne cessent de se plaindre « que leurs nouvelles transpirent à d’autres nouvellistes. » Sarazin avertit son confrère Tollot « que ses mémoires se divulguaient extrêmement