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dans le public et que le nommé Claudot, sa société et autres les avaient. »

Ce Sarazin était un nouvelliste de valeur. Tollot et Felmé essayèrent de se l’adjoindre. C’est l’opération, toute moderne encore, de la fusion de deux feuilles rivales. Mais Sarazin entendait conserver son indépendance, d’autant que son « papier » était prospère. Alors les deux compères « conçurent de l’indignation contre lui et complotèrent de le perdre et, à cet effet, ils lui suggérèrent de fausses nouvelles, afin qu’il les insérât dans les siennes. »

Nos journalistes se jalousent, se détestent, se dénigrent ; ils se battent à coups d’épigrammes :


London, le marchand de nouvelles,
M’accuse de son discrédit,
Pour avoir dit vrai quand j’ai dit
Que rien n’était moins nouveau qu’elles.
En conséquence il a pris soin
De me tirer, je ne sais comme,
Un certificat d’honnête homme :
Chacun, dit-on, sent son besoin.


Ils se filoutent les uns aux autres leurs pratiques, effrontément, comme ils se volent leurs « mémoires, » et d’une âme d’autant plus tranquille que l’anonymat même de leur commerce leur assure l’impunité.

La plupart des gazetiers mis en état d’arrestation doivent leur disgrâce à la délation d’un concurrent. Hérault, lieutenant de police, le constate en 1737, au cours d’une lettre au duc de Noailles. On revient toujours à Figaro :

« J’annonce un écrit périodique, dit l’étincelant barbier en son célèbre monologue, et, croyant n’aller sur les brisées d’aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou ! je vois s’élever contre moi mille pauvres diables à la feuille (nouvellistes) ; on me supprime, et me voilà derechef sans emploi ! »

Le chevalier de Mouhy, nouvelliste toléré par la police qui reçoit ses bulletins, s’efforce de faire incarcérer ses confrères, — ses rivaux ; ce qui lui vaut cette lettre de l’un d’eux :


Il sera donc toujours vrai que les gens du même métier ne peuvent s’accorder. Vous voulez absolument nous découvrir et nous faire enfermer. Vous n’en viendrez pas à bout, M. le chevalier ; mais permettez que je vous représente, en bon confrère, que vous avez tort d’en vouloir à nous autres