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de folliculaires est-elle détruite, qu’on en signale une autre couvée, vivace et grouillante, qui s’agite et se démène, active à son travail souterrain. « Quant aux gazetiers, écrit le gouverneur de Bourgogne, c’est un mal sans remède. »

En l’absence de feuilles imprimées, ces feuilles manuscrites répondaient à une nécessité : elles avaient une clientèle qui les voulait et les attendait ; aussi les gazettes, toujours poursuivies, sans cesse détruites, reparaissaient-elles de tous côtés.

On lasserait la patience du lecteur à énumérer les châtimens qui tombèrent dru comme grêle sur nos pauvres publicistes ; du moins faut-il noter l’indomptable résistance de ces malheureux qui semblaient alors des infiniment petits. A mesure qu’on sévit plus cruellement contre eux, ils croissent en nombre et en audace. A peine le grand roi, s’irritant de ces résistances plus fortes que son pouvoir absolu, conserve-t-il son calme. Il s’acharne sur les nouvellistes condamnés aux galères. « Le Roi veut que la sentence soit entièrement exécutée, » écrit spécialement le ministre de sa Maison au lieutenant de police, en lui envoyant l’ordre de les attacher à la première « chaîne » dirigée sur Toulon.

Lutte dramatique : d’une part, le monarque tout-puissant, de l’autre, ces pauvres hères, écrivant leurs gazettes dans de misérables réduits, ou sous les arcades de la place Royale, sur les tombes du charnier des Innocens, sans relations, sans appui, sans crédit, méprisés par ceux-là mêmes qui les emploient ? Et quel dénouement I Les humbles triomphent. Louis XIV doit reculer ; Vers la fin du XVIIe siècle, il se verra obligé de fermer les yeux, il tolérera tacitement les « petits manuscrits » et, tout aussitôt, que de nouveaux essaims et quel essor ! Durant les premières années du XVIIIe siècle, on voit les gazetins se répandre par la ville. Les colporteurs les débitent dans les rues et les promenades, dans les cafés ; on les vend dans les boutiques ; « le public, dit un placet au lieutenant de police, lit les feuilles manuscrites et les commente généralement partout. »

En juin 1705, soit qu’il fût effrayé par ce pullulement, soit qu’il fût irrité des difficultés croissantes de la guerre de Succession, Louis XIV, par un brusque retour, fit renouveler les « défenses de rédiger ou de publier aucunes nouvelles à la main. » Mais, en cette poussée de la pensée montant vers une liberté sans horizon, elle avait déjà conquis trop de terrain pour qu’il fût