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fonctions consistent à être renseigné des premiers sur ce qui se passe.

Quant aux nouvellistes autorisés qui n’opèrent pas les retranchemens indiqués, une lettre de cachet les faisait écrouer au For l’Evêque ou les envoyait en exil. Mais, en somme, quel chemin parcouru depuis un demi-siècle ! Faut-il rappeler que, à cinquante ans de distance, le commerce des nouvelles était interdit sous peine des galères ? Voici que le nouvelliste peut exercer librement son métier, s’il fait « les retranchemens ordonnés par la police. » Il a conquis sa place au soleil, et encore doit-on constater, au cours des années suivantes, que la surveillance officielle s’exercera, sous le ministère du cardinal de Fleury, avec une bienveillance paternelle. C’est ici l’âge d’or des nouvellistes. Le lieutenant de police Hérault, puis son gendre et successeur Feydeau de Marville exercent avec libéralisme et intelligence leurs difficiles fonctions de censeurs.

Feydeau de Marville, qui succéda à son beau-père le 21 décembre 1739, occupe dans cette histoire une place à part. Il avait hérité des vertus administratives de René Hérault. Il était comme lui rigide, exact, laborieux. Rempli de méfiance vis-à-vis des gens de lettres, des nouvellistes en particulier, il arriva à la lieutenance de police avec l’intention de les tenir en main, de très près ; mais le journalisme devait exercer sur lui des représailles inattendues, en faisant peu à peu du magistrat, qui consacrait ses veilles à le surveiller, le journaliste le plus occupé, le plus enfiévré, le plus passionné pour sa tâche que l’on eût encore vu.

On ne connaît pas assez le grand rôle que l’opinion publique jouait dans l’ancienne France : un rôle, sans comparaison aucune, beaucoup plus important que celui qu’elle joue aujourd’hui. « L’opinion publique, dira très bien le comte de Ségur, triomphait de tous les obstacles, »

Marville eut alors la pensée de diriger l’opinion publique par les nouvellistes. Et nous voici en compagnie d’un lieutenant de police qui examine avec attention chacune des feuilles manuscrites soumises à censure, qui l’épluche, la commente, la modifie, l’ampute ou l’allonge ; précurseur inconscient de ces rédacteurs en chef, trop soucieux du bon renom de leur journal pour ne pas asservira leur critique et à leurs ciseaux la copie de leurs collaborateurs.

Et quel dut être ce travail supplémentaire, en dehors de ses