Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Même dans ces momens cruels, Edmond Rousse retrouve quelquefois la gaieté de l’esprit qui alterne si souvent chez lui avec la tristesse du cœur. Le tour ironique et spirituel de sa pensée survit à toutes ses angoisses. En bon citoyen, en Parisien tout plein d’humanité, il passe une partie de sa vie dans les ambulances. On en a même organisé une au Palais de Justice. Il plaint les blessés qu’on y amène, et il admire les gardes-malades volontaires qui les soignent. Ce qui ne l’empêche pas de saisir au passage et de noter l’ambulance-réclame de la Presse, — l’ambulance-affiche des théâtres, — l’ambulance du demi-monde « où circulent à petits pas et à petit bruit, un sourire discret sur les lèvres et les yeux à demi baissés, toutes sortes de petites dames mariées à moitié avec des quarts d’agens de change, ou veuves de généraux péruviens. Tous ces petits monastères laïques sont divisés et subdivisés en coteries qui se déchirent entre elles avec des : « chère madame » sucrés de fiel et confits d’absinthe. »

Dans leur ensemble, les lettres d’Edmond Rousse forment un document tout à fait important pour l’histoire morale de la population parisienne pendant le siège. On y revoit le tableau de ce que chacun souffrait, le récit des journées vides, des nuits peuplées de cauchemars, la perpétuelle agitation d’une foule avide de nouvelles, impatiente d’en recevoir et n’en recevant aucune, ballottée entre des espoirs chimériques et des coups de massue foudroyans. Représentons-nous un instant par la pensée ce que devait être l’immense capitale privée pendant près de cinq mois de communications avec le dehors, obligée de se replier sur elle-même, dépouillée peu à peu des élémens essentiels de sa vie ordinaire, sans approvisionnemens, sans gaz, sans moyens de se nourrir et de se chauffer par un hiver des plus rudes. Ces misères produisaient des résultats différens suivant les caractères : chez les uns de la colère ou de l’affaissement, chez les autres au contraire le développement des vertus patriotiques. Quoique Edmond Rousse ne soit pas disposé à voir les choses en beau et que bien des défaillances l’attristent, la vérité l’oblige à reconnaître, — et il le fait à plusieurs reprises, — que la somme du bien l’emportait de beaucoup sur celle du mal, que Paris assiégé a donné au monde le spectacle d’un grand courage et de très nobles qualités. On peut en croire l’homme qui pense ainsi, il n’a jamais flatté personne, ni la Royauté, ni l’Empire ; il n’est pas