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exclu l’Amérique, sous prétexte qu’elle était trop loin, du nombre des nations dont il fallait tenir la puissance maritime en balance. Il y aurait un curieux chapitre à écrire sur la manière dont les dogmes politiques finissent, mais la lecture en serait inquiétante. L’obligation de payer ses futures dépenses militaires n’est d’ailleurs pas la seule qui s’impose à nos voisins d’outre-Manche. Les réformes sociales coûtent cher, elles aussi, et l’Angleterre a fait avant nous la plupart de celles qui, chez nous, sont encore en projet. Elle les a faites plus prudemment qu’on ne nous propose de les faire à notre tour, mais le coût n’en est pas moins très élevé. Comment sortir d’embarras ? Nous avons, en France, M. Caillaux qui se charge de faire face à tout et qui, dans le projet de budget de 1910 qu’il vient de déposer, explique savamment qu’un impôt sur le capital viendra doubler l’impôt sur le revenu de façon à pourvoir à tous les besoins du fisc, présens et futurs. L’Angleterre a M. Lloyd George, dont les conceptions ne sont pas sans quelques analogies avec celles de son collègue français : son projet de budget constitue, lui aussi, toute une révolution fiscale. S’il est voté, ce qui est probable, puisque le ministère a la majorité, la popularité déjà entamée du gouvernement libéral en éprouvera peut-être une nouvelle et très forte atteinte.

Mais nous parlerons un autre jour de l’Angleterre : c’est l’Allemagne, en ce moment, qui attire particulièrement l’attention. Le chancelier de l’Empire vient d’être mis en minorité au Reichstag ; ses projets financiers sont à vau-l’eau ; ceux de l’opposition triomphent, et la question est de savoir ce que fera le prince de Bülow. Il a offert sa démission à l’Empereur, qui ne semble pas en avoir repoussé le principe, et en a seulement ajourné l’exécution.

On n’a pas oublié sur quelles bases paradoxales M. de Bülow avait appuyé sa majorité à la suite des élections dernières. Les deux adversaires qu’il s’était proposé d’abattre dans la lutte électorale étaient le centre catholique et les socialistes. Il a réussi, en effet, à diminuer fortement la force numérique des socialistes, mais le centre a conservé la sienne, et, mis en dehors de la majorité, il n’en est pas moins resté le groupe le plus considérable de l’assemblée. Pour gouverner sans lui, sinon contre lui, il a fallu faire la coalition parlementaire la plus hétérogène qu’on pût imaginer, puisqu’elle comprenait à la fois les conservateurs, — et quels conservateurs ! — et les radicaux. Les combinaisons de ce genre témoignent, lorsqu’un gouvernement s’en contente, d’un certain mépris du parlementarisme, qui ne devient plus qu’un expédient, le moins sincère de tous. On peut vivoter cependant