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à prononcer, les jours de grandes séances, sur quelque ancien et illustre confrère. « Singulière collection » déjà, « qui de l’éloge des membres fait naître la plus sanglante satire de cette compagnie. » On y voit s’étaler « tous les effets vicieux d’une vicieuse institution, » l’habitude de la servilité devant les grands et les rois, les exemples de « la plus vile flatterie où des hommes puissent descendre, » l’adoration d’un maître invisible et toujours présent. » Mais il y a mieux. Dans la préface des Éloges, d’AIembert avait inséré certaines phrases devenues compromettantes et qui servaient merveilleusement les desseins de Chamfort. Celui-ci n’a garde de les laisser à leur place, quand elles pouvaient prendre si bon air, transportées dans son discours. Il les cueille, les présente une à une, les commente, en fait goûter la saveur et les tourne avec une ironie mêlée d’indignation contre l’Académie. Quelles étaient ces réflexions ? — D’Alembert, hardi dans ses opinions religieuses, était un homme de gouvernement, un homme d’ordre. S’il épouvantait l’Église, il ne choquait pas trop les souverains avec lesquels il était en rapport, Frédéric Il ou la grande Catherine. Sur le terrain politique, c’était, en somme, un modéré, et il l’était devenu davantage vers la fin de sa carrière. Il croyait qu’un corps comme l’Académie peut rendre des services à un gouvernement sage et que les chefs d’Etat oublient leurs intérêts véritables, s’ils songent à le persécuter. L’homme de lettres qui aspire à faire partie de ce corps ou qui en fait déjà partie, se surveille lui-même ; « comme celui qui se marie donne des otages à la fortune, » il donne des gages à la décence. « S’il y avait eu à Rome une académie florissante et honorée, Horace eût efl’acé de ses vers quelques obscénités qui les déparent. » Il n’est guère douteux en effet qu’un écrivain, du jour où il est élu académicien, devient plus réservé, plus circonspect ; il sait que dans ce qu’il écrit ce n’est plus lui seul qu’il engage, mais toute la compagnie à laquelle il tient désormais. Aliène-t-il pour cela la liberté de sa pensée ? Il la dépouille seulement de son âpreté ou de son exubérance, il retranche ce qu’elle a d’excessif ; en la rendant plus mesurée, il a des chances de la rendre plus juste. Réserve, pondération, mesure, pensée réglée et maîtresse d’elle-même, ce ne sont des défauts qu’en temps de révolution ; en temps normal, c’est la santé de l’esprit. Pour Chamfort, c’est une lâcheté et un crime ; le devoir est d’aller à rexlrèuic. Aussi bien son impuissance à commandera sa