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lâcher la bride à sa rhétorique ? A-t-il voulu donner à Mirabeau l’occasion de faire sonner sa voix puissante ? Quoi qu’il en soit, tout le travail de l’Académie se résume pour lui en deux mots : inconvenance et futilité.

Ces divers griefs étaient développés avec esprit ou avec feu : un peu de déclamation même n’était pas pour déplaire. Toutefois, ils avaient le tort d’être trop connus ; on les entendait répéter dans tous les milieux hostiles à l’Académie ; on les lisait dans les gazettes. Chamfort comprit qu’on attendait autre chose ; il lui fallait apporter des argumens mieux accommodés aux circonstances présentes et qui eussent plus « d’actualité. » Il le fallait pour achever le succès de son œuvre. Il le fallait pour Mirabeau. Un homme d’État, parlant à la tribune, ne pouvait se contenter de plaisanteries faciles et de critiques rebattues. Il devait montrer que, créée par le despotisme et pour lui, l’Académie était incompatible avec le nouvel ordre de choses. C’est le thème en effet qui forme la dernière partie du discours, la plus importante et la plus originale. Oui, l’Académie est née pour servir d’appui à la royauté ; si on la maintient, elle continuera de travailler pour elle. Institution d’État, elle est, elle sera toujours ce que Richelieu l’a faite. Scandales et abus peuvent disparaître ; « mais ce qui restera, ce qui même est inévitable, c’est la perpétuité de l’esprit » qui anime la compagnie, esprit conservateur et monarchique. « En vain tenteriez-vous d’organiser pour la liberté des corps créés pour la servitude : toujours ils chercheront, par le renouvellement de leurs membres successifs, à propager les principes auxquels ils doivent leur existence, à prolonger les espérances insensées du despotisme, en lui offrant sans cesse des auxiliaires et des affidés. Dévoués par leur nature aux agens de l’autorité…, il existe entre ces corps et les dépositaires du pouvoir exécutif une bienveillance mutuelle, une faveur réciproque, garant tacite de leur alliance secrète et, si les circonstances le permettaient, de leur complicité future. » En voulez-vous la preuve ? ajoute-t-il. Et très habilement, il recourt à une autorité que les amis de l’Académie ne peuvent récuser, à un secrétaire perpétuel, à d’Alembert. Il va chercher dans un « ouvrage avoué par l’Académie, » dans un « monument académique, » de quoi attaquer l’Académie elle-même.

D’Alembert avait publié un recueil des discours qu’il aimait