Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les incendies, et les violences sanguinaires, et l’intolérance religieuse [1]… »

Le morceau est d’une belle éloquence, d’un beau sentiment, c’est surtout un bel acte. Ce libre penseur obstiné, qui avait combattu toute sa vie pour « répandre la lumière, » trouvait qu’on allait trop vite et trop loin ; il conseillait la modération. Mais il avait beau, dans sa profession de foi politique, se déclarer partisan de la souveraineté du peuple ; la modération, à cette heure, pouvait sembler un manque de patriotisme ; les conseils, une provocation : les victorieux du jour seraient-ils d’humeur à les supporter ? Le libraire Jansen, éditeur de la brochure, prit peur. « Effrayé par les Jacobins, amis de Chamfort, et craignant de publier, comme imprimé par lui, un ouvrage où l’on défendait un corps accusé d’être aristocratique, et où l’on parlait du prince de Condé sans lui dire d’injures[2], » il n’en vendit que quelques exemplaires sous le manteau. Puis, la Révolution grondant plus fort, il se hâta, par crainte des visites domiciliaires, de mettre tout le reste au pilon. Il n’eut pas tort. Il sauva probablement Morellet ; la brochure, répandue dans le public, n’aurait pas sauvé l’Académie.


III

Il n’est pas nécessaire de revenir longuement sur cet ancien débat et de répondre en détail aux argumens de Ghamfort, quoiqu’on ait continué à s’en servir contre l’Académie française. Il y a pourtant sur certains points des erreurs si obstinément répétées, qu’il ne serait pas mauvais, puisque l’occasion s’en présente, d’essayer de les dissiper.

L’une d’elles concerne les origines mêmes de la compagnie. La part qu’y a prise Richelieu a été souvent dénaturée par ceux qui avaient intérêt à représenter la nouvelle institution comme un instrument de servitude. Selon Palissot, le cardinal « n’avait eu d’autre but que de tenir les lettres asservies sous sa main tyrannique [3]. «Pour Ghamfort, c’était un homme « qu’un instinct rare éclairait sur tous les moyens d’étendre ou de perfectionner

  1. Registres de l’ Académie française, IV, p. 223.
  2. Mémoires de Morellet, 2e édit., I, p. 397.
  3. Chronique de Paris du 1er août 1790 (voyez M. Paul Mesnard. Histoire de l’Académie française, p. 158, et Registres de l’Académie française, IV, p. 170, note 1).