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le despotisme[1]. » Les choses regardées d’un peu près doivent laisser, il me semble, une autre impression. On connaît le récit que fait Pellisson des premières années de l’Académie. Les gens d’esprit qui se réunissaient une fois par semaine chez Conrart avaient pour tout dessein de causer entre eux de littérature et de se communiquer leurs ouvrages, c’est-à-dire leurs petits vers. Les écrivains, les poètes surtout, ne se résignent pas aisément à garder pour eux seuls ce qu’ils écrivent. Ceux d’alors s’étaient fait une très chère habitude de ces réunions régulières, où ils lisaient à des amis bienveillans le sonnet, le madrigal, le rondeau qu’ils venaient de composer. Ils y renoncèrent difficilement. Même plus tard, quand l’Académie était déjà devenue une grande et importante personne, on continuait à regretter les grâces de son enfance. On se reportait vers ce premier âge comme vers « un âge d’or, » où, « avec toute l’innocence et toute la liberté des premiers siècles, sans bruit et sans pompe[2], » on goûtait la douceur et le charme de l’intimité. Ponr conserver quelque chose des récréations antérieures, on essaya tout d’abord de maintenir les discours qui se prononçaient chaque semaine. On parlait sur l’amour des corps, l’amour des esprits, les différences et les conformités qui sont entre l’amour et l’amitié ! C’était puéril et charmant. Mais Richelieu, qui avait d’autres idées en tête, trouva que ces bonnes gens perdaient leur temps à des futilités et crut devoir les ramener aux joies plus graves du dictionnaire.

C’est qu’en effet le cardinal, par son intervention, avait changé la face des choses, mais non pas, comme le disent Palissot et Chamfort, pour faire de la libre société du début une compagnie esclave et avilie, pour en réduire les membres au rôle de flatteurs du roi et de soutiens du trône. Quand il sut par une indiscrétion de Boisrobert la réunion qui avait lieu chez Conrart, il demanda si « ces Messieurs » ne voudraient pas s’assembler « sous une autorité publique. » Retenons ces mots : ils sont importans, et, par les résultats qui furent obtenus dans la suite, on peut juger du sens que Richelieu entendait leur donner. Ce n’était pas seulement danâ une vue intéressée qu’il faisait cette proposition, et pour ne laisser aucune influence s’exercer en dehors de lui. Ne rabaissons pas son mérite. S’il a songé peut-être qu’il accroîtrait aussi son pouvoir, il voulait plus encore

  1. Éd. Auguis, I, p. 255 et Registres, IV, p. 171.
  2. Pellisson, dans Livet, Histoire de l’Académie française, I, p. 9.