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tirés et la figure défaite lui inspirèrent une profonde pitié. Quoique atteint d’une affection du cœur qu’aggravait le manque d’air et le régime de la prison, Mgr Darboy n’était pas abattu. Il conservait la finesse de sa physionomie si expressive et jusqu’à la grâce de son sourire. Causeur délicieux, quelquefois même un peu bavard, il retenait son interlocuteur aussi longtemps qu’il le pouvait. Au fond de ce cachot morose, c’était pour lui une bonne fortune de s’entretenir avec un esprit aussi distingué qui se présentait d’ailleurs comme un défenseur volontaire. Dans le mouvement de charité qui le portait vers les prisonniers, le bâtonnier ne pouvait oublier son vieil ami, l’abbé Deguerry, curé de la Madeleine. Là encore, après son entrevue avec Raoul Rigault, il apportait des paroles rassurantes. Tous deux lui avaient demandé de revenir, il le leur avait promis. Malheureusement, il ne devait plus les revoir. L’armée de Versailles allait entrer dans Paris et, le 27 mai, l’archevêque et l’abbé Deguerry tombaient sous les balles de la Commune. Du moins, Edmond Rousse pouvait se dire qu’il avait fait pour leur salut tout ce qu’il lui était possible de faire. Si on veut bien se reporter à cette époque fatale, à un temps où l’on tenait si peu de compte de la vie humaine, les actes accomplis par le bâtonnier d’alors ne sont pas les actes d’une vertu ordinaire. Il fallait plus que du courage, un véritable héroïsme pour appeler sur soi l’attention des maîtres du jour en allant leur parler de leurs victimes. Aux amis qui le félicitaient, Edmond Rousse aimait à répondre qu’il n’avait fait que son devoir. En tout cas, le plus courageux des devoirs, celui dans lequel on risque sa vie pour sauver la vie des autres.

Ce serait le point culminant de la carrière d’Edmond Rousse si, dans une autre circonstance, il n’avait donné un exemple plus rare encore, celui de dire la vérité, toute la vérité, à ceux qui l’écoutaient. Les électeurs croient avoir des droits sur ceux qu’ils ont élus, ils attendent d’eux des choses aimables, des félicitations plus que des conseils. Le 2 décembre 1871, en ouvrant la conférence des avocats, le bâtonnier dont les pouvoirs avaient été renouvelés s’inspira, non des traditions, ni des habitudes, mais de la gravité des événemens dont il venait d’être pendant une année le témoin et l’acteur, pour faire entendre à ses confrères le langage le plus viril. Les banalités d’autrefois n’étaient plus de saison après la leçon que donnaient à tous les Français la guerre et la Commune. Le moment était venu pour chacun de ne