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plus se payer de mots, de faire loyalement son examen de conscience. Edmond Rousse avait tant souffert des formules sonores et vides dont abusaient les hommes politiques qu’il éprouvait le besoin de se soulager, d’aller une bonne fois au fond des choses et de crier la vérité telle qu’elle lui apparaissait, dût-il se heurter à des préjugés de vieille date. Le Français, né glorieux, n’aime pas beaucoup à reconnaître ses torts ; avant de s’accuser lui-même, il accuse volontiers tout le monde, la fortune, les circonstances, ses gouvernans, ses ennemis. L’orateur eut le courage de ne laisser à l’amour-propre national aucun faux-fuyant, aucun subterfuge, et de nous montrer à tous le miroir de nos défauts. Nous ne pouvions nous en corriger que si nous les connaissions. Il les étala sous nos yeux sans atténuation, sans ménagemens.

Il ne mettait pas en doute, bien entendu, le noble génie de la France. Il en parlait même avec une émotion profonde, en artiste, en poète qui en sent toute la beauté, toute la variété, toute la grandeur. Il avait souvent dit, il répétait que nous avions jeté un éclat incomparable dans le monde des lettres et des arts. Mais quels pauvres politiques nous étions ! Que de fois nous avions été dupes des phrases toutes faites, des lieux communs pompeux, des niaiseries sentimentales ! et par instans, quelle éclipse de la moralité publique ! Qu’était-ce que l’étiquette républicaine ? Que signifiait ce changement de régime si, derrière cette façade, s’abritaient les sentimens les moins nobles, l’ambition de parvenir à tout prix, le goût de l’intrigue et l’amour des honneurs ? En regardant autour de lui, Edmond Rousse distinguait deux aspects du barreau : les ancêtres, infiniment respectables, que l’estime publique avait portés au premier rang ; puis au-dessous d’eux, quelques jeunes hommes turbulens, agités, sans scrupules, beaucoup plus occupés de faire leur chemin que de justifier leurs ambitions par leurs mérites. Ce qui l’irritait surtout dans une partie de la jeunesse, c’était le besoin immodéré de paraître et la soif du succès. Autrefois, on attendait que la renommée vînt comme la récompense naturelle du travail et du talent. Les ambitieux modernes voulaient la surprendre et la forcer.

Et pourtant, parmi les jeunes stagiaires, que de vertus aussi et que de dévouemens ! Le bâtonnier pouvait en parler en connaissance de cause. Pendant le siège de Paris, il les avait vus partir gaîment pour les avant-postes, il avait admiré leur belle tenue dans