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le rang, la crânerie de leur attitude, la fermeté avec laquelle ils supportaient la fatigue, le froid, le danger. Tous, hélas ! n’étaient pas revenus au foyer maternel. Dans un beau mouvement d’éloquence, Edmond Rousse adressait le salut de l’Ordre à ceux qui étaient morts pour la Patrie. La conclusion n’avait rien de décourageant, il ne prononçait pas le gros mot de décadence. Il comptait au contraire pour nous relever sur l’élasticité de la race française. A une condition toutefois, c’est qu’une réforme énergique se fasse dans nos mœurs, que nous mettions un terme à nos curiosités malsaines, que nous cessions de tout discuter et de tout remettre en question. « Non, disait-il en finissant, nos ennemis ne sont ni meilleurs que nous, ni plus purs ; mais ils nous ont vaincus avec trois mots dont ils ont fait vingt victoires : l’ordre, la patience et le respect. L’ordre, la patience, le respect, voilà ce qu’il nous faut apprendre. Notre société tout entière est sortie du devoir, il faut qu’elle y retourne. Chacun dans ce pays a quitté sa place, il faut que chacun la reprenne. »

Cette forte leçon dépassa, dès le jour même où elle fut donnée, les limites du barreau de Paris. En réalité, elle s’adressait beaucoup plus à la nation tout entière qu’à une réunion d’avocats. L’effet qu’elle produisit fut immense. Je me rappelle encore que plusieurs d’entre nous la commentèrent comme un thème national devant nos auditeurs de la Sorbonne. Après tant de mensonges et de formules vaines, on entendait enfin une parole sincère. On apprenait qu’il ne fallait accuser personne en particulier de nos malheurs, que nous y avions tous contribué ou par notre faiblesse, ou par notre agitation, ou par nos défauts. Le remède était en même temps mis à notre portée, sous notre main. Il dépendait de notre bonne volonté, de notre courage, de nos efforts. Ne plus rien compliquer par les subtilités de la pensée, reprendre tout simplement la grande route des vertus nationales un moment désertée. La cruelle épreuve que nous venions de subir, au lieu de tourner à notre détriment, pouvait au contraire réveiller nos consciences et relever nos cœurs, si nous savions comprendre la leçon des événemens. Le lendemain de ce discours, le nom d’Edmond Rousse était célèbre dans toute la France. Les penseurs, les lettrés, les patriotes le désignaient pour un fauteuil de l’Académie française où, neuf ans plus tard, il devait remplacer Jules Favre.


A. MÉZIÈRES.