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en trois langues, prononcé tout bas, d’abord, avec un demi-sourire incrédule, puis sur un ton grave qui fait passer, dans le dos et l’âme des voyageurs, un petit frisson désagréable.

Serons-nous à Constantinople pour le coucher du soleil ? Les compagnies de navigation et de chemins de fer s’accordent pour offrir aux gens qu’elles transportent ce spectacle recommandé par Joanne. Mais les horaires sont bouleversés. Nous avons perdu beaucoup de temps en rente, et le spectacle est raté. Le soleil se couche sans façon, dans la Marmara.

Et quand nous arrivons, à la nuit noire, c’est le calme Complet… Pas même un coup de fusil ! aucune horde sauvage !… Et les gens qui s’attendaient à avoir très peur, et ceux qui se préparaient à être braves, sont déçus. Ça, une révolution !… C’est raté, comme le coucher de soleil.

Et maintenant, j’ouvre ma fenêtre, et, le plan du Guide à la main, j’essaie de m’orienter, de comprendre comment c’est fait, Constantinople.

C’est une ville si compliquée ! Le Bosphore, la Marmara, la Corne d’Or, la rive d’Europe et la rive d’Asie, Péra, Galata, Stamboul, Scutari, tout cela c’est Constantinople, et dans mon imagination, c’est un chaos. J’ai lu les bons auteurs, les spécialistes de l’Orient, Gautier, Loti, Farrère, et ma mémoire est pleine de phrases et d’images somptueuses… O mosquées, ô minarets ! ô caïques ! cyprès d’Eyoub, tombeau d’Aziyadé, petit yali de Beïcos, je vous vois bien… Mais la topographie, l’arrangement matériel de toutes ces mers, et de toutes ces villes, et de tous ces continens qui entrent les uns dans les autres, je ne les ai pas encore saisis.

Regardons par la fenêtre… La rue, entre des maisons banales et la grille d’un jardin public, se chauffe au soleil, un soleil modéré, tiède, un soleil de province française sur une rue de province française… La mi-avril est passée, et c’est à peine si les bourgeons des platanes crèvent leur gaine brune, et dardent mille petits ongles verts. Dans le jardin, il y a des chaises de fer et un kiosque pour les musiciens. Dans la rue, il y a des cafés, des fiacres, des marchands de journaux, des passans en jaquette et des chiens jaunâtres aux creux du pavé.

Les fez rouges des cochers et les chiens jaunâtres composent tout le « caractère oriental » de cette rue qui s’appelle « rue des Petits-Champs. » Et derrière l’hôtel, il y a, je le sais, une autre