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à Paris, la jupe du tcharchaf remonta presque sous les bras des élégantes de Stamboul ; quand le succès du fourreau s’accentua, la jupe du tcharchaf se rétrécit. Le capuchon-pèlerine diminua jusqu’à n’être plus qu’une mantille, laissant voir les bras jusqu’aux coudes, et la taille jusqu’à la gorge. Le bouffant des cheveux — ô indécence ! — parut s’émanciper sous le bandeau et la voilette relevée… D’autres changemens se sont produits. Des dames hardies osèrent sortir avec leur mari ou leur père. Quelques-unes dédaignèrent d’entrer dans la partie du bateau, ou du tramway, ou du funiculaire qui est réservée aux femmes… Enfin, les plus lettrées, — encore que bien naïves, — publièrent des articles dans divers journaux pour affirmer leurs droits à l’instruction et à la liberté. Peine perdue ! La plupart des Jeunes-Turcs sont Vieux-Turcs en ce qui concerne leurs affaires de ménage, et tel farouche révolutionnaire, qui se croit très civilisé, s’affole à l’idée qu’un étranger pourrait voir le visage de son épouse, qui a cinquante ans et qui est laide !

Cependant, quelques députés, — pas beaucoup, — s’intéressaient au sort de la femme. Ahmed-Riza bey voulait organiser l’enseignement féminin, créer un grand lycée de filles dans un konak concédé par le Sultan. Mais ces intentions généreuses furent dénaturées par ses adversaires avec une odieuse perfidie. Les hodjas crièrent au sacrilège. La jalousie enracinée dans l’âme des Orientaux, et le préjugé religieux aidant, il y eut des scènes tragiques : de jeunes femmes, parce qu’elles étaient sorties avec leur mari, — et strictement voilées ! — furent lynchées par la foule. D’autres eurent leurs vêtemens déchirés, leurs cheveux coupés. On maltraita des enfans même, parce qu’ils portaient des chapeaux !

Le plus horrible épisode de cette « guerre aux femmes, » qui précéda le mouvement réactionnaire du 13 avril et qui y contribua, fut l’assassinat d’une jeune fille musulmane et d’un Grec qu’elle avait choisi pour fiancé. Les journaux de Paris ont raconté brièvement cette histoire qui m’a été redite tout à l’heure par un témoin occulaire, M. Bareille, le distingué correspondant des Débats. La religion mahométane n’interdit pas les unions mixtes, quand c’est un musulman qui épouse une chrétienne, parce que les filles des chrétiens représentent une conquête, une proie dévolue aux fidèles d’Allah. L’idée de la suprématie masculine, — la femme n’étant que le moyen passif de la génération,