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non pas la créatrice, mais la couveuse, — fortifie encore cette conviction. Les sultans sont toujours fils d’esclaves circassiennes, et cela n’a aucune importance, le père seul transmettant la vie, disent les musulmans. Mais c’est une abomination qu’une vierge musulmane épouse un chrétien et lui donne une lignée chrétienne.

Le père de la jeune fille qui s’était fiancée à un Grec voulut punir le giaour trop audacieux et il alla, honnêtement, le dénoncer à la police. Les policiers, animés d’un esprit de justice, arrêtèrent le Grec, et la fiancée aussi. On les amena dans un corps de garde, et la foule, — les gens du quai, aux turbans de guenilles ! — s’ameuta brusquement autour du poste, en réclamant l’homme et la femme. Quelques officiers, présens à cette scène, n’intervinrent pas ou firent seulement semblant d’intervenir. Les deux malheureux, enfermés, — trop mal enfermés, — dans le poste, entendaient les cris féroces et voyaient faiblir la résistance de leurs gardiens… Les portes furent forcées… L’homme fut tué assez vite. La femme mit cinq heures à mourir.

— Je l’ai vue, — dit M. Bareille, — elle ne ressemblait plus à une femme. On ne savait ce que c’était… Et je me suis enfui, malade d’horreur et de pitié, pleurant de sentir mon impuissance… J’avais vu les Arméniens massacrés en 1905. J’ai vu cette femme… Comment oublier ces spectacles ! comment n’en pas garder, toute la vie, une ombre sur l’âme ?

De tels symptômes annonçaient un revirement dans les masses populaires. D’autres symptômes, moins terribles, parfois même comiques, auraient dû, ces temps derniers, donner l’éveil aux libéraux.

Mon hôte de ce matin a eu la bonne grâce de m’envoyer quelques extraits traduits de journaux turcs. En attendant les événemens, et tandis que l’exode des étrangers et l’approche des troupes macédoniennes continuent, par un mouvement inverse je cherche dans ces journaux la série des petites causes qui ont déterminé des effets si considérables.

Il y a le chapitre des chapeaux !…

Ce n’est pas une plaisanterie. Le chapitre des chapeaux aura sa place dans l’histoire de la seconde révolution ottomane.

Il existe un journal, le Vulcan, rédigé par un certain Derviche Vahdeti. Depuis longtemps déjà, ce journal attaquait, avec une extrême violence, Ahmed-Riza bey et sa sœur Selma