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Progrès, — ce pelé, ce galeux ! — avait causé tout le mal, par sa tyrannie intolérable. Jamais, jamais encore, la véritable Constitution, la véritable liberté n’avaient pu fleurir à l’ombre noire et desséchante du Comité néfaste…

Mais, dès que Chevket Pacha, Enver bey, Niazi bey, ces croquemitaines, tirent leurs grands sabres, dès que le succès de la réaction paraît moins certain, les journaux prudens changent de langage. Les soldats « justiciers » du 13 avril ne sont plus que des malheureux « abusés… » Si le Comité revient au pouvoir, ces soldats seront aussitôt qualifiés de « brutes sanguinaires. » ‘

Le fameux Vulcan a déclaré mercredi que la nation n’avait jamais conquis sa liberté, mais que le Sultan la lui avait gracieusement octroyée et pouvait la lui reprendre, en supprimant la Constitution !… On annonce que ce journal va être poursuivi… Signe des temps !

On remarque aussi une lettre très curieuse du prince Sabaheddine Effendi, neveu du Sultan et chef de l’Union libérale. Il n’est pas très aimé des Jeunes-Turcs, ce prince Sabaheddine, et je ne crois pas que les Vieux-Turcs aient pour lui beaucoup de tendresse. Il représente le « juste milieu, » le parti de la conciliation, et comment n’aurait-on pas de l’estime pour lui, puisqu’il prêche la concorde et le respect des femmes ?…

Car les violences du Vulcan, et certains actes de brutalité commis dans la rue, ont dû troubler l’âme bienveillante du prince Sabaheddine. Il s’adresse aux soldats, lui aussi, avec une prudence tout orientale, et débute par des complimens.

« Frères soldats ! Salut à vous ! dit-il. Nous ne savons comment vous remercier de ce que vous vous êtes attachés, pendant ces jours pleins de difficultés, au Chériat islamique. C’est pour nous un grand honneur de voir votre fidélité à notre religion. Nous désirons cependant, non seulement réclamer notre Chériat, mais encore le mettre en pratique extérieure, étant donné que ceux qui veulent le Chériat doivent avant tout lui obéir, »

Et ces prémisses posées, le prince explique à ces bons soldats que c’est un grand péché de violer les lois, de manquer à la discipline, et surtout de tuer les officiers, et de se faire les instrumens de la tyrannie ! Allah n’aime pas les tyrans ! C’est pour obéir à Allah qu’on a supprimé l’absolutisme, et mis fin à ce régime haïssable où les troupes souffraient de la faim et de la