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pour cause, — et quant aux personnages entre deux et huit ans, ils se soucient également des Turcs vieux ou jeunes et demandent le dessert et le dodo.

Le pain n’a pas manqué si l’entremets a fait défaut. Le dîner est excellent tout de même et beaucoup plus amusant que les banquets officiels. Dans le grand salon aux fenêtres ouvertes sur la nuit bleue, où pénètrent les senteurs mariées de la glycine et du lilas, on cause ensuite, presque gaîment, mais, tous les quarts d’heure, on apporte des dépêches… Arrivent M. Deffès, le directeur général de la Banque Ottomane, maigre, blanc, vif et spirituel ; — le lieutenant de vaisseau Goisse, commandant le stationnaire ; — le directeur français du lycée de Galata-Séraï, et c’est bien curieux de voir l’expression soucieuse, narquoise, sceptique ou amusée de tous ces visages !

Dans le jardin, les Turcs et les Bretons se régalent du pilaff gigantesque et des deux agneaux rôtis offerts par M. Constans, et la bonne odeur de ce festin attire les soldats qui gardent la Légation de Hollande. Trop préoccupés sans doute de l’accouchement de la Reine, les bons diplomates néerlandais ont oublié de faire dîner leurs gardiens…

— Si Yldiz ne cède pas, vous entendrez le canon demain encore, dit M. Constans.

M. Deffès veut bien me raccompagner en voiture jusqu’à l’hôtel. La rue de Péra est toute noire. Les chiens ont disparu, épouvantés, et des patrouilles circulent qui nous arrêtent à chaque pas. Une tête coiffée d’un fez, un éclair de baïonnette à la portière, quelques mots turcs criés par le cavass… Nous passons…

Et voilà ce que j’ai vu d’une « journée historique. »


MARCELLE TINAYRE.