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mais ce qu’il ne dit pas, et ce qu’un confrère bien informé me raconte, c’est que personne n’a été plus « épatant » que lui !… À cinq heures du matin, quand le canon l’a réveillé, il s’en est est allé tout droit à l’hôpital français, et sa vieille mère, sans larmes et sans jérémiades, l’a regardé partir, dans la rue où sifflaient les balles. La grande porte de l’hôpital était barrée par un détachement de Macédoniens qui fusillaient vivement un petit caracol réactionnaire. Impossible d’approcher. Les officiers de Salonique conseillent au docteur de s’en retourner, ou de se mettre en sûreté provisoire…

Le docteur répond :

— C’est fort bien, mais si votre place est ici, la mienne est dedans. On va m’apporter des blessés tout à l’heure. Il faut que j’entre dans mon hôpital.

— Vous n’entrerez pas !

— Nous verrons.

Sans hâte, il gagne une petite rue, derrière l’hôpital, où donne une porte de service presque toujours fermée en dedans, et pas très loin de l’endroit où furent blessés, une heure plus tard, MM. Booth et Moore. Là, on se bat, Macédoniens et réactionnaires, et juste devant la porte de service un passant est couché, mort, dans son sang qui rougit le ruisseau. Les balles éraflent les plâtras des murs et le bois de la porte… Le docteur ramasse des pierres et les jette dans les fenêtres de l’hôpital pour signaler sa présence, et cela dure quelques minutes, jusqu’à ce que les religieuses et les aides l’aient aperçu et lui aient fait ouvrir la porte.

Maintenant, la nuit vient, et nous sommes tous rassemblés dans le salon de l’ambassade, pendant que les petits enfans dînent dans une pièce voisine, et qu’on prépare leurs lits. Tous les Français présens sont invités à dîner, à la fortune du pot, dit M. Constans, car le pain manquera peut-être, et l’armée conquérante a réquisitionné les laitiers. L’ambassadeur nous offre même une hospitalité plus complète. Il y a de la place pour tous, et en cas d’alerte, nous aurons, pour nous protéger, les marins de la Jeanne-Blanche, et les trente-six Macédoniens.

Les petits enfans ont dîné ; le doyen de cette chambrée, M. Pissard fils, qui a bien neuf ans et qui est arrivé aujourd’hui même, avec son papa, par l’Orient-Express, donne son avis sur les événemens… Le bébé de Mme Delon n’a pas d’opinion, — et