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l’humiliation dont il avait été cause, mais il fut battu et mourut. Son fils, Hitotsu-bashi, surnommé « Keïki, » lui succéda. Il est le dernier des shoguns, car il vit encore. Lorsque le gouvernement impérial, soutenu par les princes de Choshu et Satzuma, décida l’abolition du shogunat, Keïki se soumit. Il occupe maintenant un siège à la Chambre haute. Ses partisans espéraient qu’il ferait « harakiri, » ce qui eût été une fin du shogunat digne de tant de siècles de grandeur. Il a préféré vivre. Mais ses partisans prirent les armes. Ils furent battus à Fushimi près de Kyoto, le 17 janvier 1868, àUeno, le 4 juillet, dans Aïzu, le 6 novembre, et enfin à Hakodaté, le 27 juin 1869, où quelques-uns d’entre eux avaient essayé d’établir un gouvernement indépendant. Dès lors, tous les pouvoirs étaient aux mains de l’Empereur.

Les causes d’un aussi brusque changement ne paraissent pas avoir été suffisamment élucidées. L’Europe a voulu y voir une sorte de révolution de palais, remplaçant le shogunat par un conseil des grandes familles princières. En raison de la débilité du gouvernement, ces familles n’auraient pas hésité à le détruire pour saisir à leur profit le pouvoir. Ce sont là des pensées d’un ordre peu élevé. Elles exposent à se tromper du tout au tout sur l’orientation du gouvernement japonais.

Le canon de Shimonoséki avait causé une émotion profonde. La noblesse comme le peuple comprit qu’en conservant sa constitution féodale, le Japon devait fatalement devenir la proie de l’étranger. La féodalité a pour conséquence la guerre et, généralement, le chef battu cherche (un appui extérieur. N’est-ce pas ainsi que se sont faites la plupart des conquêtes ? Les Japonais voulaient être libres. Ils étaient témoins de ce que les intellectuels, avec leur dédain des institutions militaires, avaient fait de la Chine : la vieille vache à lait attaquée par six ou sept jeunes tigres, disent leurs journaux. Ils avaient constaté que l’action dite civilisatrice de l’Europe s’était manifestée par des coups de canon forçant le gouvernement chinois à laisser empoisonner son peuple par l’opium. Ils avaient vu les temples violés, les palais pillés, les villes incendiées, l’argent de rançon extorqué le couteau sur la gorge et le démembrement. La noblesse décida qu’elle abandonnerait ses privilèges pour prendre une forme de gouvernement qui assurerait la cohésion du pays en le groupant autour de l’Empereur, et, pour sauver la patrie, la féodalité se suicida.