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conséquent, nous avions tout profit à le voir rester en place. » Il y avait là une singulière erreur de jugement. Thiers, autant sinon plus que tout autre, pouvait renforcer la situation de la France en Europe. Deux ans de présidence l’avaient indiscutablement démontré. Les autres propos de Bismarck, à la veille de l’alerte de 1875, indiquaient ses desseins secrets. Il avertissait le nouvel ambassadeur que, si la France poussait ses armemens, l’Allemagne lui déclarerait la guerre. Continuant ses avertissemens, le chancelier dit au prince, au moment où il se rendait à Paris : « Nous avons tout intérêt à ce que la France ne devienne ni assez puissante à l’intérieur, ni assez respectée à l’étranger pour se gagner des alliés. La République en proie aux troubles intérieurs, c’est la paix garantie. Une République forte serait un dangereux exemple à tous les points de vue pour l’Europe monarchique. » Cependant, le chancelier avouait que la République lui paraissait moins puissante que la monarchie qui favoriserait contre l’Allemagne toute espèce d’intrigues avec l’étranger. Il disait encore que de tous les prétendans au trône de France, les Bonaparte lui conviendraient le mieux. « Mais la meilleure solution était que la situation demeurât telle quelle. » L’Empereur, consulté à cet égard par le prince Clovis, lui répondit de rester neutre en face des bonapartistes. « Ce sont eux, dit Guillaume, qui feraient toujours le mieux notre affaire en France, parce qu’ils rencontreraient des difficultés dans le pays. » Le prince de Hohenlohe crut devoir rappeler alors à l’Empereur son entretien du 23 août 1867 à Munich avec Napoléon III. Celui-ci lui avait, à ce moment, déclaré qu’il était pour la paix, car l’humanité en avait besoin. « L’idée, disait-il, qu’une nation, en s’agrandissant et en se fortifiant, crée un péril pour sa voisine, est passée de mode. » Cependant, la Prusse devait, suivant l’empereur Napoléon, tenir compte de l’opinion publique qui fermentait vite en France. On y redoutait les projets d’extension de la Confédération du Nord. Le prince de Hohenlohe répondit que Bismarck n’avait que faire des Etats du Sud. « Oui, répliqua Napoléon, il m’a parlé aussi avec une grande modération ; mais il prétend que ce sont les Etats du Sud qui le forcent à aller beaucoup plus loin.— Cette pression, remarqua Hohenlohe, n’est que le fait d’un parti. En général, l’envie d’entrer dans la Confédération du Nord baisse. — Je regrette, dit alors Napoléon d’un ton interrogateur, que vous n’ayez pu former la Confédération