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trouvait chez un Allemand, maître tailleur, nommé Wibec. Au reste Rambaud passait pour un « merle, » c’est-à-dire pour un nouvelliste de qui les feuilles étaient favorables à l’Autriche, reproche qui se serait d’ailleurs plus justement adressé à l’un de ses principaux collaborateurs, Sarazin, que nous retrouverons plus loin. « Leurs feuilles, dit le commissaire de Rochebrune, sont toujours assaisonnées de traits satiriques contre la France, pour élever la reine de Hongrie. » À ce titre, le lieutenant de police avait ouvert les hostilités contre Rambaud dès l’année 1742 ; mais celui-ci était de taille à soutenir la lutte. Ses cinquante copistes et colporteurs continuaient de faire la besogne qu’il leur impartissait et ses 280 abonnés à recevoir leur gazette à la barbe des policiers.

Rambaud nous dit comment il se procurait les nouvelles de Paris : par les pelotons de « nouvellans » aux Tuileries, au Luxembourg, au Palais-Royal, et par les « mémoires » que lui remettaient ses reporters. Les nouvelles de l’étranger lui parvenaient sous le couvert de personnages de la première distinction, tels que M. de Caumartin et Mme la duchesse douairière d’Estrées. Les paquets qui lui étaient destinés portaient des signes de convention et les suisses affidés, au lieu de les remettre à leurs maîtres, les lui faisaient parvenir ; ou bien encore, ces paquets arrivaient à l’adresse de deux commis de la poste, lesquels, à la réception, rayaient leurs noms sur les enveloppes pour y substituer celui du nouvelliste.

Le principal des rédacteurs employés par Rambaud était un certain Nicolas Tollot, un personnage que Beaumarchais aurait pu mettre en scène, Tollot avait trente-neuf ans, et s’occupait, depuis vingt ans déjà, d’écrire des nouvelles à la main, tout en faisant d’autres métiers, comme Figaro ; tour à tour secrétaire, valet de chambre, ou bien homme d’affaires des gens de qualité ; mêlé aux plus extraordinaires aventures, enfermé à Bicêtre pour avoir « emprunté » à son maître, le marquis de Saux-Tavanes, quatre-vingts louis d’or qu’il s’en était allé perdre à l’hôtel de Gesvres, une maison de jeu, et remis en liberté parce que Saux-Tavanes le proclamait homme de bien et d’honneur ; puis au service du marquis de Mirabel, lequel, dit l’inspecteur Meusnier, « fut condamné à avoir un peu le cou coupé pour avoir enlevé une sienne cousine ; la cérémonie, qui ne lui aurait pas plu, l’a engagé à passer à l’étranger, » — exactement l’aventure de Mirabeau et de son valet de chambre Legrain, dont il sera question